Notre tour complet d’Afghanistan en 2002, dont est issu le film Riverboom de Claude Baechtold, se termine avec cet épisode et le retour à Kaboul, où le retour de Zaher Shah, le roi en exil depuis 30 ans, est imminent. En route, on croise un soldat perdu qui posait des mines à l'âge de 9 ans, un émissaire puissant et des villageois qui ont de la peine à lâcher leurs fusils.

Le garde armé du parking de l'hôtel a sifflé toute la nuit. De longues tirades roucoulantes alternées de petits coups brefs. Pour signaler sa présence aux voleurs? Pour prouver à son patron qu'il ne s'est pas endormi? Pour écarter les animaux sauvages? Pour effacer la peur?

A l'aube, il n'est plus là pour répondre aux questions mais on est dans une vieille histoire: la chronique rapporte que les voyageurs du 17e siècle se plaignaient déjà de pratiques similaires. Les caravansérails aux lourdes portes de bois ont simplement été remplacés par ces hôtels décorés de néons verts et bleus, qui se dressent toujours à une journée de route les uns des autres. Et les caravanes ont cédé la place aux camions qui roulent toujours au pas des chameaux. Ce matin, les voyageurs ensommeillés s'enfournent dans les voitures poussiéreuses, les uns vers Kaboul, les autres vers Kandahar. Derniers levés alors que le jour n'a que quelques minutes, nous prenons le chemin du fort qui surplombe Qhazni. C'est l'œuvre de Mahmoud, seigneur de l'An Mille, qui pillait l'Inde chaque année en lui apportant l'islam.

Le sommet, meurtri de tranchées et de pièces d'artillerie, offre une vue imprenable sur la ville que les occupants successifs du fort ont copieusement bombardée. Les guerriers dépenaillés qui le tiennent actuellement (parce qu'ils ont été les plus rapides à s'en emparer à la fuite des talibans), appartiennent au Mahaz-e Melli, le parti royaliste de Pir Seyed Gailani, le chef spirituel de la confrérie soufie des Qhaderi.

Leçon de géopolitique locale

L'un d'eux s'approche, les yeux perdus dans le vague. Il est maigre et barbu, mais semble être le chef de la piteuse troupe. Désignant l'horizon d'un bras estropié, il ébauche une leçon de géopolitique locale.

Les tanks et les baraques du nord-est appartiennent aux hazaras chiites du Hezb-e Wahdad. Le grand poste de police plus au sud est tenu par le Harakat, parti traditionnel et modéré. La gendarmerie et une autre station de police ainsi qu'une caserne de l'est abritent l'Ittihad, parti wahabite ultra-rigoriste d'Adburrab Rassoul Sayyaf, alors que le gouvernorat et une troisième station de police sont le fief d'une faction dissidente de l'Ittihad menée par le chef local, Qali Baba, qui regroupe quatre commandants ayant collaboré avec les talibans. Pour le Jamiat, parti tadjik de Rabbani et de feu le commandant Massoud, il reste quelques postes de contrôle et les anciens services de renseignement de la ville.

Quant aux Américains, ils se sont installés il y a une semaine sur une autre éminence, protégés par des postes de contrôle afghans dont les autochtones n'ont pas encore déterminé l'affiliation exacte. Ils pourraient appartenir à cette espèce nouvelle et curieuse: des forces gouvernementales.

Grâce à la toute-puissance d’Allah

Le soldat à l'étrange regard décline alors son identité: Seyed Noor Agha, de la tribu très respectée des Aghasaheb, fils d'un calife (dignitaire soufi) tellement considéré qu'à son enterrement, peu avant les talibans, tous les tanzims (partis) ont cessé de se battre durant 24 heures. Une fois ces précisions apportées, l'homme fait asseoir les visiteurs dans la seule pièce du fort qui tienne encore debout: quatre lits de camp, des kalachnikovs pendues à des clous, une grosse théière sur une caisse de munitions. Et là, il raconte son histoire de soldat perdu.

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Seyed Noor Agha, qui posait des mines à l'âge de 9 ans. Photo: Paolo Woods

Lunettes noires et dégaine querelleuse

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