En Chine, plus encore qu’en Europe, la pandémie de Covid a été un traumatisme. Notre héros a eu le douteux privilège de travailler au sein du centre d’appel officiel de sa ville, alors que le pays étouffait sous les contrôles et les quarantaines. Un épisode qui n’aurait pas déplu à Kafka.

Alors que la pandémie sévissait depuis trois ans et que la Chine poursuivait sa terrible politique «zéro Covid», Zhang Wei a postulé pour un emploi d'opérateur Covid-19 au centre d'appel officiel des pouvoirs publics, la hotline 12345. En entretien d’embauche, il a dit que la situation était très compliquée pour tout le monde, et qu'il espérait avoir l’occasion d’aider son prochain.

Il le pensait vraiment.

Pendant sa semaine de formation, on lui a appris à utiliser le système d’appel téléphonique, mais aussi à «éviter de sombrer dans la dépression». Ce n’est que plus tard qu’il a réalisé la raison d’être de cette formation-là.

La plupart des appels concernaient, bien sûr, les mises en quarantaine obligatoire. Dans son cahier, il avait quatre pages de notes sur les différentes règles qui s’appliquaient, selon les provinces et les villes concernées. Le script des opérateurs de la hotline publique était le suivant: «Les politiques pertinentes ont été mises au point et appliquées au niveau de la municipalité». Ou «les politiques pertinentes ont été mises au point et appliquées au niveau de la municipalité, après une évaluation de la province.»

Chaque fois qu'il prononçait le mot «évaluation» se formait dans sa tête l'image d'un groupe d'experts chauves en train de se creuser les méninges.

Si son interlocuteur était satisfait des réponses, l'appel pouvait être archivé dans la foulée. Si son interlocuteur avait encore des doutes sur les politiques Covid mises en place, il ne pouvait rien faire. Les règles internes stipulaient que les questions politiques ne pouvaient pas faire l’objet d’une réclamation.

Les services «compétents»

Déposer une réclamation signifiait transmettre les demandes et les requêtes des appelants aux services compétents, tel un centre de distribution de courrier. Zhang Wei était chargé de relayer les réclamations. Il n’avait aucune idée de quand les problèmes seraient résolus, ou même s’il y aurait la moindre tentative pour y donner suite. La distribution, juste la distribution.

Le premier appel auquel Zhang Wei a répondu provenait d’un patient atteint de cancer, qui avait été placé en quarantaine. Relativement calme, l’homme espérait que la procédure pourrait être modifiée dans le futur pour rendre la vie moins difficile. Considérant la suggestion comme appropriée, Zhang Wei en a fait une réclamation qu’il a déposée. Rejet. Il l’a révisée et soumise une deuxième fois. Nouveau rejet. Il s’est dit qu’elle faisait sans doute l’objet d’une partie de ping-pong entre deux services qui se renvoyaient la balle.

Un autre appel concernait un jeune homme atteint de méningite aigüe. Il devait se rendre en ville pour son urgence médicale mais comme il venait d’une zone à risque moyen, il s’inquiétait de faire l’objet d’une mise en quarantaine obligatoire. (En Chine, chaque quartier était verrouillé par des checkpoints et des «hommes en blanc», ndlr.) Là encore, Zhang Wei a tenté de soumettre une réclamation, mais celle-ci n’a pas abouti: le plaignant n’étant pas (encore) en quarantaine, il n’y avait pas lieu de se plaindre.

Urgence relative

Une fois, un vendredi après-midi, des administrés ont appelé pour protester contre le bouclage sanitaire de leur quartier, qui durait depuis trois jours. Typiquement, les plaintes commençaient à tomber au bout de trois à cinq jours. Il s’agissait d’une affaire pressante, donc Zhang Wei a pris sur lui d’appuyer sur le bouton «examen accéléré». C’était le mieux qu’il pouvait faire, la limite de son pouvoir en ces lieux.

Voir plus