Il est souvent présenté comme un organe exclusivement dédié au plaisir, et revendiqué comme tel dans les milieux féministes. Pour les biologistes cependant, il est peu plausible que le clitoris n’ait pas, en dernière analyse, un effet bénéfique sur les chances de reproduction. On peut le déplorer, mais le plaisir n’est pas l’alpha et l’oméga de l’évolution.
En 2019, Roy J. Levin se lance dans une entreprise audacieuse. Ce chercheur indépendant, physiologiste retraité de l’Université de Sheffield (Angleterre), entend démontrer, dans un article paru dans Clinical Anatomy, que «le clitoris a deux fonctions, procréative (reproduction) et récréative (plaisir), qui sont d’égales importances». Dans un communiqué de l’éditeur de la revue, il enfonce le clou: «le mantra, souvent répété, que la seule fonction du clitoris est le plaisir sexuel, est dorénavant obsolète».
Sans surprise, Levin prend la foudre. Dès le lendemain, le physiologiste britannique est cloué au pilori dans la presse populaire et sur les réseaux sociaux.
La chroniqueuse du Daily Telegraph, Judith Woods, sonne la charge: «Les scientifiques ont découvert à quoi sert le clitoris… mais ce n’est pas une bonne nouvelle pour les femmes.» D’un ton acerbe, la journaliste fait mine d’interpeller l’épouse de M. Levin et s’insurge: pourquoi donner du plaisir aux femmes ne peut-il être une raison suffisante pour expliquer l’existence du clitoris? Dans le tabloïd Metro, son confrère Jasper Hamill ironise sur le fait qu’«un homme scientifique a enfin élucidé pourquoi les femmes ont un clitoris», avant de… faire voter ses lecteurs sur la fonction du clitoris.
D’autres réactions sont plus nuancées. Sur le site académique The Conversation, la spécialiste australienne en anatomie Michelle Moscova qualifie l’article de Levin de «controversé», tout en estimant que sa thèse mérite examen. Même chose pour la chroniqueuse du Guardian, qui se demande prudemment s’il est bien nécessaire de faire la guerre à cette idée, quand même pas si folle.
A ce jour, le plaisir demeure la seule fonction du clitoris qui fasse consensus. Beaucoup de féministes y voient une victoire symbolique dans la lutte des femmes pour l’autonomie et la liberté sexuelle, contre le carcan incarné par la sexualité reproductive et les contraintes sociales qu’elle implique. Redonner au clitoris un rôle reproductif, même sur la base d’arguments scientifiques, ne va donc pas sans faire grincer quelques dents.
L’hypothèse de Roy Levin ne fait pourtant pas trembler la biologiste Céline Brockmann, de la Clitoris Team de Genève, qui ne voit pas pourquoi l’organe ne pourrait pas jouer sur les deux tableaux. «Il y a tellement de phénomènes qui se passent dans le cerveau et dans le corps liés à l’excitation sexuelle et quand il y a un orgasme, que cela me semble une évidence que le plaisir a d’autres raisons d’être que juste jouir», souligne-t-elle.
Que le plaisir soit un facilitateur n’a rien d’étonnant, estime-t-elle. Elle-même est persuadée que les biologistes n’ont jamais cessé de se poser la question. Céline Brockmann rappelle au passage que le clitoris et le pénis ont co-évolué et sont présents dans une multitude d’espèces, des reptiles aux mammifères.
«Dans un contexte patriarcal, on a besoin de séparer les deux fonctions, plaisir et reproduction, mais c’est un discours politique, pas scientifique», renchérit Maéva Badré, doctorante en sciences biomédicales et membre de la Clitoris Team. Autrement dit, Levin a pris une volée de bois vert parce qu’il s’attaquait à un totem, qui plus est de façon assez rentre-dedans, mais sa démarche scientifique est tout à fait sensée.
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