Comment meurent les héros? Dans un petit val qui mousse de rayons, deux trous rouges au côté droit, écrivait Rimbaud. Si c’est le romantisme qui vous meut, cessez ici votre lecture. Pour la vérité nue, veuillez poursuivre.

Au tout début de ce récit, j’ai décrit la mort de Wassyl dans les champs du Donbass, la lumière rasante de l’été, au milieu des coquelicots indifférents et des frères d’armes désespérés. C’était plutôt joli, un peu lyrique, trop même. Ce n’était pas sa mort. Ne vous offusquez pas, moi aussi je me suis fait avoir. Quand j’ai vu ces images dans le documentaire Mythe dédié à Wassyl, j’y ai cru. J’ai même pleuré devant. Assister à ses derniers instants m’a fendu l’âme.

J’avais commencé mes recherches sur lui depuis des mois et tomber sur ces archives alors que je regardais tranquillement le 65 minutes un soir dans ma cuisine, cahier et stylo à la main, vapeurs de camomille, avait été assez perturbant. Je m’étais dit que c’était fou que sa mort ait été filmée, fou que l’équipe de tournage ait retrouvé les rushs. Fou, enfin, que jusque dans la mort, la vie de Wassyl ait été esthétique et immortalisée. Même maladroitement, par la GoPro d’un compagnon d’armes. Les flous chahutés de la vidéo venaient d’ailleurs ajouter au tragique poétique de la scène.

Mais c’était un leurre: Wassyl n’est pas le combattant mourant de la vidéo. A ma déception s’est substituée une espèce de colère dépitée. Dans cet homme, où était le vrai et le faux? Même son trépas jouait la comédie? Où était la réalité et où la fiction? La personne et le personnage?

La trahison des images

Après que plusieurs de ses proches – Orest, Alla, Yuliya, Evgueni – m’eurent confirmé que ces images n’étaient pas celles de sa mort, je me suis mise en tête de rencontrer les responsables. J’étais un peu outrée, vexée peut-être d’avoir été bernée. L’un des réalisateurs du documentaire, Léonid Kanter, s’est suicidé le 4 juin 2018. Bon. Mais en ce jour d’avril 2024, à Kyiv, son coréalisateur Ivan Yasniy est bel et bien en train de boire un thé vert face à moi dans un Lvivski Crouassany – une chaîne de cafés spécialisée dans les croissants géants. Il doit avoir la cinquantaine, porte une casquette militaire, une veste de bûcheron hipster à carreaux rouge et noir, une partie de ses cheveux blond-blanc est très longue, contrairement à l’autre.

Ivan est un homme affable, passionnant et débordé. Il termine le tournage d’un long-métrage de fiction, l’adaptation très contemporaine d’un roman classique ukrainien, La Sorcière de Konotop, qu’il a décidé de filmer dans un village martyr tout juste libéré des Russes. Et, demain, il s’en va sur le front de l’Est poursuivre un documentaire qu’il a commencé au début de l’invasion, sur un acteur de cinéma entré dans les forces armées. Sa façon à lui de lutter, c’est de faire des films. Il l’a compris dès la révolution du Maïdan. Ca lui était assez naturel, il a commencé sa carrière comme chef opérateur sur les plateaux télé. Aujourd’hui, il réalise et produit des documentaires et des fictions.

Voir plus