La chirurgienne australienne Helen O’Connell est celle qui, par ses recherches anatomiques, a révolutionné l’image du clitoris auprès du grand public. Quoi, l’organe du plaisir féminin ne se limite pas à ce petit bout de chair à peine visible, derrière son capuchon de moine cistercien? A la fin des années 1990, le monde découvre que derrière la petite péninsule se cache un continent méconnu.
Elle est, à ce jour, la plus célèbre et la doyenne de l’International Cliteratti, comme se surnomme ce groupe informel d’expertes du clitoris. Helen O’Connell, 62 ans, est la première femme d’Australie à s’être spécialisée en urologie, la discipline médico-chirurgicale qui s’intéresse à l’appareil urinaire et au système reproducteur… masculin, en théorie. C’est pourtant elle qui, dans les années 1990, a relancé le champ des recherches sur l’anatomie du clitoris, en s’appuyant sur les nouvelles techniques d’imagerie médicale.
Cela fait trois mois que nous avons calé la date avec sa secrétaire médicale. Depuis dix bonnes minutes, nous attendons son apparition à l’écran. Je lutte contre le sommeil, ma feuille de questions sous les yeux. Ici, à Nairobi, où je rends visite à ma famille, il est 1h du matin – et 23 heures à Budapest, chez la photographe Andi Gáldi Vinkó, qui se joint à nous. La Pre Helen O’Connell a accepté de nous parler depuis Melbourne-Est où elle habite, dans une jolie banlieue résidentielle de la première ville d’Australie.
La chirurgienne, carré blond et lunettes papillons, apparaît enfin à l’écran. Elle a pris du retard sur sa première consultation de la journée, a «24 minutes» à nous consacrer avant la prochaine, on la sent rodée à l’exercice et pas le genre à traîner en route.
Trente ans après ses recherches pionnières sur l’anatomie du clitoris, Helen O’Connell est une star de la discipline, mais une star très occupée. Elle continue d’explorer les bas-ventres sous toutes leurs coutures, a publié fin mai une étude sur la prostate féminine – vous avez bien lu, elle existe peut-être! De quoi retenir l’attention de la Clitoris Team de Genève, dont elle suit de loin les avancées. «Pour moi, c’est très inspirant de voir l’héritage de tout ce travail», indique-t-elle.
D’après sa biographie officielle, la Pre O’Connell est la première femme d’Australie à se spécialiser en urologie, en 1994. Sa rencontre avec son directeur de thèse John Hutson, chirurgien de renom spécialisé dans les opérations sur les enfants intersexes, a joué un rôle clé au début de sa carrière au Royal Melbourne Hospital. La chirurgienne, à l’orée de la trentaine, prépare son examen final lorsqu’elle assiste à son cours. «Je me suis dit ‘oh mon dieu, cet homme est mon âme sœur!’», raconte-t-elle, d’une voix claire, teintée d’accent australien. Elle est frappée de voir à quel point ce chirurgien prend soin de préserver le nerf dorsal du clitoris et les vaisseaux sanguins pendant l’intervention.
A cette époque, les urologues insistent beaucoup sur la nécessité de ne pas nuire aux nerfs de l’érection lorsqu’ils opèrent des hommes, mais c’est le flou qui règne du côté des femmes. Après un stage à Houston (Texas), Helen O’Connell démarre un programme de recherche sur l’anatomie du clitoris. «L’Université de Melbourne a pris ce projet très au sérieux. Des personnes très compétentes nous ont rejoints et nous n’aurions pas pu réaliser de travaux anatomiques d’une telle qualité sans cette expertise», explique-t-elle.
Etonnamment, «cette recherche est restée pendant longtemps très confidentielle», poursuit Helen O’Connell. «Très peu de mes collègues comprenaient vraiment ce que je faisais, ou osaient me poser beaucoup de questions», s’amuse-t-elle. Elle est tout à fait consciente, dès cette époque, du caractère pionnier de ses travaux: «Lorsque est sortie la nouvelle édition du Gray’s (Gray’s Anatomy, le manuel américain de référence en anatomie, ndlr.), je m’attendais à trouver des évolutions, mais j’ai découvert qu’il était resté bloqué dans une version bien antérieure. Cela montrait à quel point notre travail était nécessaire!»
L’urologue australienne publie une première série d’articles scientifiques qui fera date, entre 1998 et 2005. Ces recherches sur l’anatomie du clitoris s’appuient sur des dissections détaillées puis sur l’imagerie par résonance magnétique (IRM). Les clichés de la partie interne du clitoris permettent de voir en un seul coup d’œil qu’au-delà du gland, la partie qui affleure à l’extérieur, il existe un corps, des piliers et des bulbes, toute une anatomie enfouie et méconnue du grand public, et parfois même du corps médical.
Un mois seulement après la parution du premier article dans la revue de référence en urologie, en 1998, des médias anglo-saxons relaient son étude. «L’organe sexuel féminin est dix fois plus gros qu’on ne le pensait», titre la BBC.
Cet été-là, en 1998, Michèle Dominici travaille au Musée d’histoire naturelle de Londres. La Française, alors âgée d’une trentaine d’années, feuillette le nouveau numéro du magazine The New Scientist, qui passe d’un bureau à l’autre. «Je lis un encart où il est écrit que le clitoris fait 10 centimètres!», s’exclame-t-elle, de son appartement près de Pigalle à Paris. «Je me suis dis: ‘Merde… Je ne suis pas normale?!’ Ça m’a vraiment travaillée. J’ai gardé ce truc-là pour moi. Puis, au bout d’un moment, j’ai commencé à en parler à des amies. Peut-être que tout le monde était au courant sauf moi?»
Il mesure combien, votre clitoris?
Mais non, ça fait pas dix centimètres!
Apparemment, si…
«C’est là que je réalise qu’il y a un loup», poursuit Michèle Dominici. Elle en fera le sujet de son premier film, Le clitoris, ce cher inconnu (2004), diffusé sur Arte, qui est aussi l’un des premiers documentaires à évoquer cet organe longtemps tabou.
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