Wassyl, vaillant colosse à la voix de stentor, était aussi un être d’une grande sensibilité. Ses amis de l’opéra ont tenté de le dissuader d’aller combattre en Ukraine, mais le feu de la guerre a pris le pas sur celui de l’art. A son retour du front, ils décrivent un homme transformé.
«La première fois, il ne va en Ukraine que deux semaines, mais il revient changé, se rappelle Guillaume. On sent qu’il est confronté à l’horreur de la guerre. Il me dit qu’il a vu des trucs, qu’ils ont interrogé des prisonniers…»
Je rencontre Guillaume Dussau Doumenge un samedi matin, près de la gare Saint-Lazare à Paris. Guillaume est chanteur lyrique, voix de basse, et physiquement c’est un colosse, tout comme Wassyl avec son 1,93 mètre. Les deux amis se retrouvaient souvent au café du Départ où l’on s’est assis en terrasse en dépit du froid et du bon sens. C’était pratique, Guillaume arrivait de Levallois en métro, Wassyl de la Frette-sur-Seine en transilien. «On était ici, dans ce bar, quand il m’a annoncé qu’il ne pouvait plus être président de notre asso, Opera Friends for Children, parce que peut-être qu’un jour, il fabriquerait des orphelins. Parce qu’il se pouvait qu’avec sa mitrailleuse, il tue des gens, que c’était une possibilité.»
Avec des amis chanteurs, ils avaient fondé cette association d’aide aux enfants victimes de la guerre, Opera Friends for Children, en 2014. Pour Guillaume, c’était une manière d’accompagner son ami dans cet engagement. Pendant la révolution du Maïdan et le début de la guerre du Donbass, il avait été, place Saint-Michel et ailleurs, aux petits rassemblements de la communauté ukrainienne que Wassyl galvanisait avec son haut-parleur. Mais les drapeaux, les chants, les slogans en ukrainien, ça ne lui parlait pas tant qu’agir. Alors ils ont mis leur savoir-faire à disposition: ils ont commencé à récolter des fonds en organisant des concerts de musique classique.
Avec Wassyl, leur spécialité lors de ces récitals, c’était le Requiem de Verdi ou l’air du prince Grémine dans l’opéra Eugène Onéguine de Tchaïkovski. Avec l’argent glané, ils envoyaient plein de matériel – jouets, médicaments, cahiers, habits – à des familles ukrainiennes et faisaient venir des enfants en vacances en France. Tout ce petit monde connaissait bien sûr Alla Lazareva et Yuliya Yefremova, les deux amies ukrainiennes de Wassyl qui, depuis Paris, envoyaient elles aussi des tonnes d’aide sur le front. Mais depuis le début, Guillaume répétait à Wassyl que c’était une «connerie» de prendre les armes. «Tu es chanteur d'opéra, pas soldat! Tu as moyen de te faire entendre bien différemment, en passant par la culture, en parlant à l’opinion autrement.» Le ton montait parfois, mais à quoi bon? C’était un grand garçon.
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