Lorsqu’il a quitté Paris pour le Donbass en 2015, Wassyl Slipak a combattu aux côtés d’une journaliste ukrainienne ayant troqué la plume pour le treillis. Comme le chanteur lyrique et tant d’autres civils volontaires, avocats, jardiniers ou poissonnières, Lera Burlakova s’est trouvée dans le combat une nouvelle raison d'exister. Au point de ne plus trop savoir comment vivre loin du front.
Wassyl est parti un jour de juin 2015. Il s’est rendu près de la station de métro Chevaleret à Paris et a embarqué dans un bus vers l’Ukraine. Réalisant exactement le même trajet que les colis et cartons qu’il envoyait depuis plusieurs mois à des bataillons de volontaires sur le front. Il allait enfin voir de ses propres yeux, vivre en vrai ce dont on lui parlait.
Je peux m’imaginer sa curiosité, son excitation. Il communiquait chaque jour avec ces hommes et ces femmes, il devait avoir l’impression de les connaître. De vivre presque avec eux déjà, d’être des leurs. Je suis certaine qu’il s’y rend comme à un rendez-vous avec son destin. A ses proches, Wassyl a annoncé qu’il voulait comprendre par lui-même les besoins qu’il y avait là-bas. Il ne leur a pas franchement dit qu’il allait prendre les armes, alors qu’il le savait.
Pour ce voyage, il n’est pas parti seul mais avec un compatriote. Aujourd’hui, cet homme est installé au Portugal, il travaille dans le bâtiment et ne veut pas me parler. J’aurais tant aimé savoir ce qu’ils se sont dit sur le trajet, où ils se sont arrêtés, ce qu’ils ont mangé, s’ils étaient graves ou joyeux, si en passant la frontière ils ont douté. A quoi pense-t-on quand on va faire la guerre le lendemain?
Pour comprendre, j’ai écrit à Lera Burlakova, la nièce d’Alla, celle qui avait besoin de talkie-walkies pour le front. Elle aussi était journaliste et elle est devenue combattante de 2014 à 2017. Elle y a perdu son compagnon, puis a publié un journal de guerre poignant, intitulé Sous le ciel du Donbass, et publié aux éditions L’Harmattan. Alors bien sûr, elle n’habitait pas en France, n’était pas chanteuse lyrique, mais Lera sait ce que c’est de tout quitter pour plonger à corps perdu dans cette vie militaire dont on a tant de mal à revenir. Et aussi, elle a bien connu Wassyl, enfin «Myth» de son nom de guerre. Sur ses trois voyages, elle a été dans les mêmes bataillons que lui par deux fois.
Après des mois d’échanges de mails, je suis heureuse de la rencontrer à Kyiv. Nous sommes en avril 2024. Je lui demande de choisir le lieu, un lieu important ou symbolique à ses yeux. Lera choisit le Musée national d’histoire militaire dans le quartier gouvernemental. La rue est semée de véhicules russes carbonisées exposés là. Elle m’attend près du dernier camion. Elle est avec son fils Tim, 5 ans, visiblement fin connaisseur d’armes russes démilitarisées.
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