En 2001, alors qu’il a 27 ans, notre chanteur ukrainien quitte contre toute attente les prestigieux chœurs de l’Opéra de Paris. Commence une période sombre, lors de laquelle il vit de petits boulots plus ou moins légaux. Quelle est cette ombre en lui, qui finira peut-être par le conduire au front? Une ex-chanteuse lyrique, qui fut sa compagne pendant quatre ans, évoque Wassyl et ses fantômes.
C’est de l’histoire ancienne, presque une autre vie pour Sylvette. L’ancienne mezzo-soprano n’habite plus à Paris, elle a changé de métier. Andrea, son ex-collègue des chœurs de l’Opéra, nous a gentiment mises en contact. Sylvette est tout de suite enthousiaste à l’idée de parler de Wassyl et de leurs quatre ans de vie qu’elle qualifie de «ouah», mais trouver un rendez-vous s’avère plus compliqué. Une fois devant moi, elle n’est plus très sûre de bien se souvenir, tient à s’appliquer. En mémoire du disparu, mais aussi car elle a beaucoup réfléchi.
Non seulement Sylvette a toujours eu un «truc» pour comprendre profondément les gens mais elle se sentait «connectée» à Wassyl, même des années après leur séparation. Pour elle, Wassyl est «un souffrant qui est parti faire la guerre». Et elle veut essayer de comprendre elle aussi ce qui est arrivé au Wassyl qu’elle a si bien connu et aimé. C’était au début de l’année 2000.
«Il y avait des scènes de guerre, des canons, des fusils, une vraie bataille. On était tout le temps sur scène avec des changements de costume. C’était une mise en scène incroyable de La Guerre et la Paix de Prokofiev par Francesca Zambello. Je me rappelle le soir de la première, après la représentation, il y a eu une grande fête, on était tellement heureux, on dansait, on dansait… Wassyl avait même eu un petit rôle de général où il avait brillé. Je me souviens encore de son arrivée à l’opéra, il a été accueilli un peu comme un héros. Il avait 22 ou 23 ans, c’était un jeune fou, très grand, très mince, avec la voix du bon dieu. Il chantait tout le temps, partout, dans les couloirs, avec les copains, il ouvrait la bouche facilement. A cet âge-là, avec ce talent, son arrivée avait été quasi triomphale. Tout feu, tout flammes, un genre de prodige, oui. Voilà, je l’ai connu à ce moment-là.
«On est tout de suite tombés amoureux et nous sommes restés quatre ans et demi ensemble... Je suis mezzo-soprano, j’étais dans les Chœurs depuis quelques années. J’avais 15 ans de plus que lui, mais ça ne se voyait pas à l’époque. Lille, Marseille, l’Opéra-Comique, la Maison de la Radio, j’avais fait pas mal de concerts en tant que soliste. Les chœurs de l’Opéra, c’était un moment de ma carrière où j’étais très épanouie. J’avais déjà mes trois enfants, j’étais divorcée. Je lui apportais ce côté femme, chanteuse française, avec un certain accomplissement. Tout le monde le disait, on était beaux tous les deux!
«On vivait dans mon appartement dans le 17e arrondissement. Wassyl était à la fois mûr et complètement immature, il laissait libre cours à sa fraîcheur dans tous les domaines, mais je sais qu’il enfermait beaucoup de souffrances. C’était il y a plus de 20 ans, je ne me rappelle plus exactement mais je voudrais essayer de rester la plus fidèle possible… Par rapport à sa famille, à son pays, à son chant. Il avait dû abandonner une carrière de contre-ténor car il avait découvert sa voix de baryton. Comment vous expliquer ?
Voir plus