Les Suisses ont refusé massivement la révision du deuxième pilier. C'est la 3e fois cette année qu'une réforme des retraites est déboutée. Un désaveu qui s'explique par une mesure mal expliquée et qui n'a pas su inspirer confiance. Analyse.
Mais qu’est-ce qui n’allait pas dans cette réforme, à priori raisonnable? Pour la troisième fois cette année — après le 3 mars et le passage de la 13e rente AVS — les Suisses le répètent: on ne touche pas à nos retraites ni à nos rentes!
La révision du deuxième pilier est massivement rejetée par 69% de la population et par tous les cantons, y compris en Suisse centrale. Le non va bien au-delà de la gauche et des syndicats. Une véritable gifle. En Suisse romande, les votes sont massifs, au-delà du 70%.
La polarisation du Parlement et les erreurs de calcul de l’office fédéral des assurances sociales ont sans doute contribué à ce résultat, en sapant la confiance des électeurs. Mais c’est surtout la complexité de la réforme qui a dérouté, déjà encombrée par le refus de la majorité de droite de jouer le compromis. Les Suisses ont dû faire leur marché dans une bataille de chiffres et c’est au final l’argument de «l’arnaque à la LPP», du «payer plus pour toucher moins», brandie par la gauche, qui a fait mouche.
Pour la majorité parlementaire de droite et les milieux économiques, c’est un nouveau coup de semonce, massif, et un appel à retrouver le chemin des compromis. On ne fera rien sans les syndicats et contre l’avis des Suisses.
Pourquoi c’est important? La carte de la Suisse de ce dimanche confirme l'extrême difficulté à faire bouger le système du deuxième pilier, qui doit pourtant s’adapter au vieillissement de la population et aux changements du marché du travail. Même si les Romands sont de loin les plus sceptiques, c’est nein, non, no dans toute la Suisse. La réforme de la LPP ne passe pas. 59,9% dans le canton de Vaud, 65,7% à Fribourg, 73,9% en Valais, 56,2% à Neuchâtel, 67,2% dans le Jura.
Pourtant, si la révision faisait des perdants — par la réduction de 6,8% à 6% du taux de conversion — elle baissait aussi le seuil d’accès au deuxième pilier, permettant une meilleure couverture des bas salaires et des personnes travaillant à temps partiel. Selon une étude d’Alliance F, cela devait permettre à 359'000 personnes dont 275'000 femmes d’obtenir une rente plus élevée. La réforme favorisait aussi les «travailleurs 50+» sur le marché du travail, en réduisant leur taux de cotisations. Chimère, disait la gauche, qui a été entendue.
Pourquoi cet échec? C’est évidemment l’abaissement du taux de conversion qui a posé problème. En la matière, la gauche est accusée d’avoir fait une campagne mensongère. Faux, a-t-elle répété. “Si le taux de conversion est abaissé, la rente minimale garantie diminue également”, souligne le syndicaliste Pierre-Yves Maillard.
Selon le socialiste, en passe de devenir l’un des hommes politiques les plus influents du pays, la réforme menaçait directement la classe moyenne. “Les plus grands perdants sont ceux dont le revenu se situe entre 70'000 et 90'000 francs. Les plus touchés sont les quinquagénaires d'aujourd'hui: ils voient leur rente baisser jusqu'à 270 francs chaque mois”. La gauche refusait toute baisse de rentes au Parlement. Elle a été entendue par les Suisses.
La polémique autour des frais administratifs des caisses de pension a par ailleurs tourné au pugilat. “Les caisses de pension de la LPP redistribuent 40 milliards de francs de rentes et huit milliards à l'industrie financière, sous forme de frais de toutes sortes”, a répété le chef de l’union syndicale suisse et Conseiller aux Etats, Pierre-Yves Maillard, durant cette campagne.
Dans cette bataille de chiffres, les femmes et même les milieux de l’économie se présentaient en ordre dispersé. Ce qui n’a pas contribué au climat de confiance. Il faut dire que la Suisse compte 1’400 caisses de pension, chacune avec son propre plan de prévoyance. Impossible donc de tirer une conclusion générale sur les effets de la révision proposée. Dans un climat de méfiance et de baisse du pouvoir d’achat, les électeurs ont préféré glisser un non dans l’urne.
Et maintenant ? Depuis plus de deux décennies, pratiquement toutes les tentatives de réforme de la prévoyance professionnelle sont bloquées. De l’avis des experts cependant, le système est stable et fonctionne bien. «Un échec à la réforme de la LPP ne mettra pas le système en péril», avait prédit Eric Niederhauser, patron de Retraites Populaires à Lausanne.
Le vieillissement de la population pèse cependant à la fois sur l’AVS et sur le deuxième pilier, et ce sont les jeunes générations se partagent le poids financier des assurances sociales. Le rapport entre retraités et actifs était de 1 à 5 en 1979. Il est de 1 à 3 aujourd’hui et passera de 1 à 2 en 2050.
La prévoyance professionnelle, basée sur un modèle de société de l'après-guerre, a donc besoin d'une mise à jour. Dans ce contexte, le vote de ce dimanche peut être compris comme un appel à retrouver la voie du consensus, largement perdue au Parlement. Dès demain, la gauche va profiter du succès du jour, pour relancer le dossier du bonus éducatif. Le temps des compromis constructif est arrivé.