Notre journaliste poursuit au Chili son voyage sur les traces de la grande chanteuse et militante Violeta Parra. Elle est morte avant l'élection de Salvador Allende en 1970 et le coup d'Etat de Pinochet trois ans plus tard, mais n'aurait pas échappé à la répression. Son fils Ángel a été arrêté, son ami et collègue Victor Jara exécuté. Ces fractures sont encore visibles dans les rues de la capitale.
Quatrième café de la matinée dans le quartier chic de Providencia, à Santiago. De quoi se défaire de ce jetlag qui colle à la peau. La serveuse pose la tasse sur la table avec ce qui ressemble à du produit vaisselle. L’étiquette indique qu’il s’agit d’un édulcorant liquide. La malbouffe s’agrémente, ici, de ces quelques gouttes chimiques de culpabilité. A la terrasse de l’hôtel, je feuillette les livres glanés dans deux librairies. Dans chacune, Violeta Parra a sa propre étagère. Biographies, analyses, recueils de poèmes, de chansons. Ses enfants aînés, Isabel et Ángel, ont aussi posé sur papier leurs souvenirs d’une mère XXL, imposante pour ne pas dire étouffante. L’emblématique Violeta Parra résonne dans chaque recoin du pays. Son existence s’apparente parfois à une légende.
Son pays a connu bien des soubresauts après sa disparition, il y a près de 60 ans. En septembre 1970, le socialiste Salvator Allende remporte l’élection présidentielle. Mal vu des Etats-Unis, il sera renversé en septembre 1973 par le général Augusto Pinochet, qui instaure une dictature militaire et se maintiendra plus de quinze ans au pouvoir, au prix d’une lourde répression. Après le retour à la démocratie, en 1989, cinq présidents se succèdent. Mais à partir d’octobre 2019, le Chili devient le théâtre d'un important soulèvement social. Près de deux millions de personnes descendent dans les rues contre l’augmentation du coût de la vie. Une lacrymo lancée contre la police le 7 février 2020 met le feu au Musée Violeta Parra, inauguré quatre ans plus tôt. Un acte malencontreux, qui ne visait ni la militante ni ses œuvres.
L’établissement ferme définitivement ses portes. Aujourd’hui, ses tapisseries, papiers mâchés et dessins sont partagés entre le campus de l’Université Catholique du Chili et une salle du MAC, le Musée d’Art Contemporain, situé dans le quartier Quinta Normal. Autant ne pas mettre l’orteil dans le conflit qui divise, depuis, ces deux institutions légataires.
Sernatur, l’agence chilienne du tourisme, m’a proposé une visite guidée du centre-ville avec Max Santibañez, l’un de ses collaborateurs. On sort du métro à la station Universidad de Chile où s’exposent depuis 1996, et sur 1200 mètres carrés, les moments clés de l'histoire du pays revisité par le peintre muraliste Mario Toral. L'époque précolombienne, les viols perpétrés par les Conquistadors sur les natifs, le suicide de José Manuel Balmaceda le 19 septembre 1891 ou encore le bombardement de la Moneda, le 11 septembre 1973, qui signe la mort de Salvador Allende et le début de la dictature Pinochet.
Dans J’avoue que j’ai vécu, son œuvre posthume, le poète Pablo Neruda écrira: «De nombreux présidaillons et deux grands présidents: Balmaceda et Allende. Hommes de principes, obstinés à rendre grand un pays amoindri par une oligarchie médiocre, ils eurent la même fin tragique.» Le ton est donné.
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