La glorieuse Genève a donné son nom à une spécialité locale, la «Genferei» (genevoiserie). Voici la dernière en date. Elle est savoureuse, parce qu’elle mêle l’éloquence d’un grand avocat de la place (autre spécialité), Charles Poncet, face aux responsables de son parti, l’UDC, dont l’un manie davantage la fourche que la plume. Une affaire qui en dit long sur les divisions au sein d’un parti qui a pourtant eu, l’an dernier, la faveur des électeurs.
Il n’est pas sans risque d’envoyer un courrier menaçant à Charles Poncet, avocat, politicien, élu au Grand Conseil genevois en avril 2023. Car ensuite vient la réponse, rarement indolore. Heidi.news a ainsi pu consulter les lettres que se sont échangées en ce mois d’août 2024 la présidence de l’UDC et son «trublion». Elles sont révélatrices de l’ambiance qui règne dans ce parti qui a pourtant le vent en poupe: il dispose de treize sièges au Parlement genevois, cinq de plus que lors de la précédente législature.
Entre Charles Poncet et les responsables du parti, le torchon brûle depuis plusieurs mois. Le 6 juin, l’avocat, élu au Grand conseil un an plus tôt sous les couleurs de l'UDC et qui s’est notamment illustré en traitant le Département de l’instruction publique de «fabrique de crétins», annonce sur le plateau de Léman Bleu qu’il va quitter son groupe au Grand Conseil. Il évoque des divergences avec son chef de groupe, Yves Nidegger, et affirme qu’il siégera en indépendant pour le reste de la législature.
### «Moine masochiste» «Je suis confronté à un chef de groupe qui est complètement réactionnaire, mais qui veut exercer un pouvoir dictatorial et dérisoire. Ça prend des proportions absolument grotesques. On me censure mes projets de loi, l’accès à certains documents m’a été interdit», a alors déclaré Charles Poncet. Le lendemain, il enfonce le clou [dans ](https://www.blick.ch/fr/news/suisse/charles-poncet-quitte-le-groupe-udc-a-geneve-le-chef-de-groupe-udc-me-fait-penser-a-un-moine-masochiste-id19822021.html)*[Blick](https://www.blick.ch/fr/news/suisse/charles-poncet-quitte-le-groupe-udc-a-geneve-le-chef-de-groupe-udc-me-fait-penser-a-un-moine-masochiste-id19822021.html)*: «Yves Nidegger (...) me fait penser à ces moines dominicains qui éprouvaient une satisfaction masochiste à s’imposer le cilice, non sans envoyer les hérétiques au bûcher, *ad majorem Dei gloriam* – ‘pour la plus grande gloire de Dieu’. Il préfère perdre en se pensant idéologiquement pur et se dire qu’il est le seul à détenir la vérité, plutôt que de faire passer un projet.» Deux semaines plus tard, le 20 juin, à l’orée d’une session du Grand Conseil, il demande à ce que «l'effet de \[sa\] sortie du groupe soit différé». La procédure d’exclusion a pourtant été enclenchée, le 18 juin. De fait, le 9 août, le président de l’UDC Genève Lionel Dugerdil et le vice-président Alexandre Chevalier envoient à Me Poncet un courrier qui lui reproche: * d’avoir trahi le parti et la confiance de ses électeurs en quittant le groupe parlementaire * d’avoir nui à l’image du parti cantonal et à celle de ses élus en se répandant à plusieurs reprises dans la presse en invectives personnelles. Les deux signataires donnent dix jours à l’avocat pour leur faire parvenir ses observations, «après quoi le Comité directeur prendra sa décision» sur son exclusion. ### **«Illettré, bourrin, idiot utile»** La réponse, sur 7 pages, est datée du 19 août. Charles Poncet commence par s’étonner qu’Alexandre Chevalier se joigne à la démarche de Lionel Dugerdil, affirmant être en possession de «plusieurs messages» d’Alexandre Chevalier qualifiant Lionel Dugerdil «d’illettré, de bourrin, d’idiot utile, etc.». L’avocat s’abstient de lier cette élasticité de la position d’Alexandre Chevalier à son nomadisme politique: avant l’UDC, ce dernier a successivement été libéral, vert’libéral, PBD, PDC et membre des Républicains, le parti français de droite, en Suisse. L’essentiel des attaques de Me Poncet concernent cependant l’autre signataire du courrier qu’il a reçu, Lionel Dugerdil, député au Grand Conseil et président de la section genevoise de l’UDC depuis décembre 2023. Il le qualifie de «condamné de droit commun» et rappelle trois condamnations, aujourd’hui radiées: en 2013 pour «dommage à la propriété et appropriation illicite», en 2020 par le Tribunal militaire pour «insoumission ou absence injustifiée à réitérées reprises» et en 2021 pour «lésions corporelles simples et menaces». ### **Le coup de fourche** Le 20 mai 2020, cinq jours après avoir cogné un cambrioleur que lui amenait la police, Lionel Dugerdil a en effet frappé un de ses voisins jusqu’au sang avec une fourche, une affaire révélée par *[Blick](https://www.blick.ch/fr/news/suisse/nouvelle-affaire-embarrassante-le-president-de-ludc-geneve-a-cogne-un-homme-avec-une-fourche-jusquau-sang-id19325027.html)*[ en janvier 2024](https://www.blick.ch/fr/news/suisse/nouvelle-affaire-embarrassante-le-president-de-ludc-geneve-a-cogne-un-homme-avec-une-fourche-jusquau-sang-id19325027.html). Cet épisode semble être à l’origine de la brouille entre le président du parti et l’avocat. Car le 1er février 2024, *Blick*, sous la plume de Daniella Gorbunova, que Charles Poncet surnomme «Gorbumachin», publie un article intitulé «[Accusé d'avoir «menti», le président de l'UDC Genève est sur la sellette](https://www.blick.ch/fr/news/suisse/celine-amaudruz-se-distancie-accuse-davoir-menti-le-president-de-ludc-geneve-est-sur-la-sellette-id19384926.html)». Dans la foulée, l’avocat écrit alors un message dans le canal WhatsApp du parti: > «Mon cher Lionel (...) je t’ai soutenu avec force dans les attaques dont tu as fait l’objet, mais là tu me vois atterré. (...) Est-ce que tu as vraiment caché cette nouvelle condamnation en présentant à qui de droit un extrait de casier judiciaire dépassé et ne mentionnant pas la nouvelle inscription à ton casier pour le «coup de fourche» alors que tu étais candidat au Conseil d’Etat? Est-ce que tu te rends compte du scandale que cela aurait provoqué pour l’UDC si tu avais été élu et qu’on s’aperçoive aujourd’hui de ce qu’il en était en réalité? (...) Si Gorbumachin dit la vérité, j’en serais profondément déçu et affecté, au point de remettre en question ma participation à ce groupe (...)». Charles Poncet affirme qu’en réaction à ce message, Lionel Dugerdil s’est mis à l’accabler de «fautes imaginaires» dans le but de se débarrasser de lui. Il prie donc la présidence de l’UDC de prendre note de sa démission et de faire suivre sa lettre du 19 août à tous les membres genevois du parti – faute de quoi il le fera lui-même.