A la fin des années 1990, le potentiel de GLP-1 pour contrôler la perte de poids commence à émerger. Quelques groupes pharma s’y intéressent vaguement mais leur priorité reste le diabète, d’autant que les coupe-faims ont la réputation d’être un nid à problèmes. Tout va changer quand l’obésité commence à être considérée comme une vraie maladie.
Matthias Tschöp a vu de haut les innombrables échecs de la pharma à développer des coupe-faims, avant de les observer de près. Aujourd’hui directeur du Centre Helmholtz de Munich, l’un des principaux centres de recherche médicale en Allemagne, il est une sommité de la science de la prise de poids. En 1996, il n'est encore qu’un jeune neuroendocrinologue fraîchement diplômé quand il se rend avec une équipe d’alpinistes à la cabane Margherita, 4554 mètres d’altitude, dans le massif du Mont-Rose qui sépare les Alpes suisses des Alpes italiennes.
«A cette époque, j'étudiais la leptine, une hormone découverte deux ans plus tôt par le généticien Jeff Friedman à la Rockefeller University», commence par m’expliquer Matthias Tschöp dans le restaurant – forcément végan – où il m’a donné rendez-vous à Munich. «On a longtemps cru que les cellules de graisse ne sont que des sacs de calories. Mais la leptine est une hormone libérée par ces cellules pour indiquer au cerveau que vous n’êtes pas en train de mourir de faim. Si le cerveau ne reçoit pas ce signal, en quelque sorte de réassurance, vous ne pensez qu’à manger. Je me suis dit ‘c’est génial, on va pouvoir l’utiliser pour contrôler l’appétit’.»
Matthias Tschöp travaille alors avec des alpinistes extrêmes qui préparent l’ascension du Kangchenjunga, un sommet de l’Himalaya. Son projet consiste à comprendre le rôle de la leptine, hormone de satiété, en haute altitude – où il est courant de perdre tout appétit. «Mais alors que je me préparais pour cette expédition, j’ai reçu une offre de post-doctorat pour travailler sur la leptine dans les labos d’Eli Lilly à Indianapolis. Ils venaient d’en synthétiser une forme solide qui aurait pu être utilisée sous forme de comprimé. Je ne suis finalement jamais allé au Kangchenjunga. Cela a été la meilleure décision de ma vie puisque c’est comme cela que j’ai rencontré Richard DiMarchi.»
Nous avons déjà croisé dans les chapitres précédents la figure incontournable du biochimiste Richard DiMarchi. C’est lui qui dans les années 1990 a développé Humalog, la forme expresse de l’insuline recombinante d’Eli Lilly. Lui, aussi, qui avait motivé Andrew Young à précipiter le développement de l’exendine-4, extraite du monstre de Gila pour traiter le diabète (voir épisode 6).
Depuis sa collaboration avec Suad Efendic au Karolinska de Stockholm et les premiers essais cliniques de GLP-1 montrant un effet sur le poids (voir épisode 4), Richard DiMarchi suit la piste de l’obésité, en plus de celle du diabète. Il étudie différentes hormones, dont la prometteuse leptine. Et il a beau être vice-président chez Lilly, il est tout ouïe quand le jeune postdoc Matthias Tschöp rejoint sa division à Indianapolis et lui explique son intérêt pour trouver un médicament contre l’obésité.
Les bases génétiques de la faim
«Pendant mes études de médecine, je voyais tous ces patients atteints à la fois de diabète et d’obésité», explique le chercheur allemand. «On ne pouvait les traiter qu’avec l’insuline, qui les fait encore grossir. Parallèlement, nous assistions à une pandémie au ralenti, avec l’explosion des cas de diabète de type 2 et d’obésité. Ma question était: est-il possible de trouver une façon de normaliser le poids pour nous débarrasser à la fois du diabète de type 2 et de l’obésité, avec leurs conséquences délétères sur la santé?»
De par son effet coupe-faim, la leptine fait alors figure de candidat idéal. «Pour la première fois, on avait une molécule qui régule le poids avec une véritable base génétique (le gène est connu depuis le milieu des années 1990, ndlr.). En plus, cela permettait de déstigmatiser l’obésité. De ne plus dire aux gens, c’est juste un problème de manque de force de caractère. Manger moins et bouger plus et cela va aller, comme les médecins le recommandent depuis Hippocrate.»
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