EXCLUSIF. La fondation Antenna est dans la tourmente. L’organisation basée à Genève, conçue pour aider au transfert de technologies dans les pays pauvres, a licencié les trois quarts de ses employés et englouti la moitié de ses fonds dans une opération immobilière. La plainte contre elle déposée par son fondateur, Denis von der Weid, pourrait faire jurisprudence, dans un secteur qui pèse 140 milliards de francs en Suisse.
A la fin mars 2024, une poignée de startupers et de porteurs de projets se sont retrouvés à Genève pour une session «Innovation Booster» organisée par l’agence d’encouragement de l’innovation de la Confédération, Innosuisse. L’événement s’est déroulé dans une villa mise à disposition par la fondation Antenna, créée pour répondre aux besoins essentiels de populations en situation d’extrême pauvreté.
Le hic, car il y a en a un, c’est que cette coquette villa et son terrain de 3300 mètres carrés à Lancy, dans le canton de Genève, ont été achetés récemment pour 3,5 millions de francs par Antenna, afin d’en faire son siège ainsi qu’un «tiers-lieu». Or, la fondation se trouve en grande difficulté financière et a dû récemment licencier la plupart de ses employés. Un conflit juridique oppose l’équipe actuelle et le fondateur historique Denis von Der Weid, qui estime qu’Antenna se détourne de sa mission originelle…
Heidi.news a essayé d’y voir clair, ce qui n’est pas facile. Le nouveau président de la fondation, Michaël Meier, attaché aux affaires internationales de l’Etat de Genève, a en effet refusé de répondre à nos questions.
Commençons donc par le commencement. Créée en 1989 par Denis von der Weid, professeur d’économie du développement, juriste et un temps directeur de la Déclaration de Berne (aujourd’hui Public Eye), l’association Antenna (transformée en fondation en 2011), s’est donnée pour mission de développer et transférer des technologies simples et bon marché pour les besoins essentiels des populations les plus pauvres des pays en développement, notamment en Afrique.
Ses projets de recherche portaient principalement sur la nutrition, l’accès à l'eau potable, l'agroécologie, l'énergie solaire, la médecine des plantes et le microcrédit. Le travail d’Antenna a, en particulier, abouti au développement de Wata, une technologie de potabilisation de l’eau grâce à la production de chlore. Passée dans une entreprise (Watalux) en 2018, cette technologie a donné accès à l’eau à quelque 20 millions de personnes, rapporte la fondation en 2019. Antenna a aussi développé la spiruline, une micro-algue utilisée comme complément alimentaire pour les enfants malnutris, et un médicament à base d’hibiscus pour lutter contre l’hypertension.
En 2011, l’association Antenna est devenue une fondation de droit suisse reconnue d’utilité publique qui, du fait de son activité internationale, relève désormais de l’Autorité de Surveillance des Fondations (ASF) à Berne. Elle a aussi reçu à cette époque le soutien d’un généreux mécène, Martin Pestalozzi, cofondateur du groupe de travail temporaire Adia.
Pendant dix ans, ce soutien a permis à Antenna de développer ses actions. Les difficultés ont commencé après un rapport de consultants qui jugeaient sévèrement le travail de la fondation. Les projets d’Antenna bénéficiant du soutien, entre autres, de la Direction suisse du développement de l’Etat de Genève ou de l’Unicef ainsi que d’une vingtaine de partenaires universitaires, il s’agit naturellement d’une question d’appréciation.
Quoi qu’il en soit, sur cette base, les héritiers de Martin Pestalozzi, regroupés dans la Pestalozzi Heritage Foundation, n’ont pas souhaité poursuivre leur soutien financier à la fondation. Contactée par e-mail, Patricia Pestalozzi, l’une des membres de la famille, n’a pas répondu à notre demande d’explications plus détaillées sur les motivations de ce retrait.
Cette situation tendue a abouti à la démission de Denis von der Weid et des autres membres du conseil de la fondation, le 31 octobre 2022. Contacté par Heidi.news, ce dernier explique: «J’étais d’accord de m’en aller. J’ai 88 ans et ça me paraissait très bien, mais je voulais une transition acceptable et intéressante pour tout le monde.»
Une convention, validée par l’ASF, a été passée alors avec les héritiers du principal donateur aboutissant à l’arrêt de leur soutien à partir de 2022. La Pestalozzi Heritage Foundation rachète aussi à la fondation Antenna 450 mètres carrés de bureaux dans le quartier des Eaux-Vives à Genève, offerts dix ans plus tôt par Martin Pestalozzi, pour 3,7 millions de francs.
Avec en plus une ultime donation de 2,5 millions, la Fondation Antenna se retrouvait donc avec un capital d’environ 5,5 millions de francs à la fin de l’année 2022. Le contrat pour la vente des bureaux prévoyait aussi de maintenir leur utilisation gratuite jusqu’à fin 2024.
La convention passée fin 2022 avec Denis von der Weid prévoyait enfin la nomination d’un nouveau conseil présidé par Michaël Meier, attaché aux affaires internationales au Département des finances, des ressources humaines et des affaires extérieures du canton de Genève. Les statuts prévoyant un conseil de 3 à 6 membres, deux autres membres, Adrien Zerbini, journaliste scientifique à la RTS et Béatrice Desvergne, biologiste de renom à l’Université de Lausanne, sont nommés en décembre 2022.
Ce qui aurait pu être une transition tranquille va cependant rapidement tourner à la polémique puis au litige juridique. «D’abord, la convention prévoyait que je sois consulté sur la nomination d’un nouveau directeur, ce qui n’a pas été fait», relève Denis van der Weid, qui a quitté définitivement la fondation le 15 décembre 2022. C’est Adrien Lavergnat, un spécialiste en gestion financière ayant travaillé pour HP et l’Agan Khan Trust for Culture, qui est nommé ad interim le 2 décembre 2022. Il est toujours en poste à ce jour.
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