A ceux qui doutent de la violence engendrée dans les hauts lieux des sports d’hiver par la consommation de stupéfiants, les vidéos de surveillance apportent une froide réponse. Les caméras se sont multipliées dans les stations ces dernières années. Notre journaliste a pu visionner certaines images. On y voit du deal, des armes à feu et des fêtards en fin de course.
Il est 3h30 du matin, ce 13 mars 2022. Cette nuit-là, la boîte de nuit de cette station festive de Haute-Savoie n’est accessible qu'aux personnes munies d’invitations. Un jeune se présente à l’entrée, de petite taille, nerveux, mais bien connu dans la station où il travaille depuis plusieurs saisons, dans la restauration sur les pistes. Heidi.news a pu visionner des images, notamment sur le téléphone d’un employé, et a mené des interviews pour reconstituer les dialogues.
C’est une soirée privée, t’as une invitation? Demande l’agent de sécurité.
Ouais, j’en ai.
C’est quoi ces papiers? Décale-toi, laisse entrer les autres qui ont de vraies places.
Pardon? Tu sais pas qui je suis! Tu sais pas qui je suis!
Le saisonnier s’emballe. Il montre des signes d’agressivité, tente de frapper le personnel de la sécurité puis s’avoue vaincu après un coup de gaz lacrymogène.
Une heure plus tard, le jeune homme revient, plus calme, et demande à pouvoir discuter avec le videur qu’il a agressé, pour s’excuser. Cela se passe devant la porte. Les images montrent la rue, déserte à cette heure. Le ton est posé, l’agent de sécurité rassuré.
Tout va bien. Tu ne seras pas privé d’entrée pour la saison. Maintenant, rentre te coucher, va te reposer.
Ah mais… T’es sérieux? Tu me fais pas rentrer ce soir?
T’as agressé un agent, t’es bourré, sous produits, rentre chez toi!
Tu ne me laisses pas rentrer, je te pointe!
A sa ceinture, une arme. Elle paraît réelle.
Dans les rues, les bars, les restaurants ou les boîtes de nuit des stations de ski, les caméras capturent désormais les moments de folie, d’ivresse et de violence. Ces dispositifs de surveillance, que les stations préfèrent appeler «de vidéo-protection», se sont multipliés. Sans compter celles, privées, des commerçants, des tenanciers d’établissements et des propriétaires de chalets, il y en a plus d’une vingtaine dans l’espace public de Chamonix, une soixantaine à Megève, quelques dizaines dans les villages de Montriond, Saint Jean D’Aulps et Les Gets, en Haute-Savoie, 42 à Verbier, en Suisse, selon le Conseil général de la commune de Bagnes, et 211 à Crans Montana, affirme l’entreprise Securiton, qui les a installées.
Cette nuit de mars 2022, un travailleur saisonnier trouble-fête est donc revenu armé devant la boîte de nuit qui lui a refusé l’entrée une heure plus tôt.
L’agent de sécurité évalue la situation: plus de quatre-vingt personnes qui dansent à l’intérieur, une dizaine à portée de tir qui fument dans l’espace réservé, deux clients qui posent leur doudoune au vestiaire. Il se place sous la caméra, qui filmera l’intégralité de la scène et tente de désamorcer la situation pendant que ses collègues appellent les gendarmes.
Tu veux me tirer dessus? Tu penses que tu vas rentrer après avoir montré une arme?
Regarde bien, regarde, là! Elle est chargée, tu le vois le chargeur?
Mais tu te crois au Far West? C’est l’entrée d’un saloon ici?
Je te plombe! Je vais revenir avec un groupe d’une cinquantaine demain, prépare les clous pour ton cercueil!
Le saisonnier a sorti son arme, puis l’a remise dans sa ceinture. Déstabilisé par près d’un quart d’heure de discussion sans que l’agent ne frémisse, il finit par s’éloigner. «Je me suis enfin remis à respirer, témoignera après coup le videur aux gendarmes, qui le féliciteront pour son sang froid. J’avais le cœur qui battait fort. J’étais terrorisé. Mais je ne pouvais pas le montrer. S’il avait mal réagi et tiré en l’air, blessé ou tué quelqu’un, je ne me le serais jamais pardonné».
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Avant l’aube, plusieurs dizaines de policiers ont investi la station, pour une chasse à l’homme qui durera plusieurs heures. Le saisonnier était bien connu de leurs services, avec neuf condamnations, dont une pour vol et braquage avec arme à feu. Ils l’arrêteront chez lui, en possession d’une arme (qui s’est avérée factice mais très réaliste), une «savonnette» de hashish (environ 100 grammes) et de la cocaïne. Des analyses de sang montreront qu’il était sous l’effet des deux produits ce soir-là, sans compter l’alcool.
Quelles conséquences? «En comparution immédiate, il a seulement pris dix-huit mois assorti d’un sursis probatoire de 24 mois, et 250 euros à me payer pour m’avoir menacé avec une arme, explique l’agent de sécurité, abasourdi par ce qu’il a découvert du passé violent de cet employé*. Les juges ont passé l’éponge pour la drogue, alors qu’il avait déjà été condamné plusieurs fois pour trafic de stup et consommation. Il est arrivé en feignant de boiter suite à un accident de wakeboard, prétextant avoir besoin de tranquillisant pour dormir. En sortant du tribunal, il ne boitait plus.»*
La boîte de nuit n’a pas proposé d’accompagnement juridique à son agent de sécurité, ni même quelques jours de congé pour se remettre de cette «menace de mort», comme le précise le jugement en correctionnelle que nous avons pu consulter. «C’est normal en station: la violence, la drogue, les armes. Normal pour les juges, pour les patrons, pour les saisonniers.» Quant à l’agresseur, il a continué de travailler dans la station, car c’était «un bon employé», selon son patron.
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