A la fin des années 1980, la Cisjordanie et Gaza sont sur le point de s'embraser sous le joug israélien. Dans ce contexte, le CICR est déchiré entre deux visages d'Israël: la vitrine de la modernité et de la démocratie au Proche-Orient, et la puissance qui fait régner sa loi dans des territoires illégalement occupés. C'est l'heure de la schizophrénie, à l'aube de la première Intifada puis des accords d'Oslo, chimères d'une paix impossible.
La normalisation des relations entre Israël et l’Egypte initiée par Sadate après la Guerre du Kippour de 1973 apporte une détente indéniable dans la région. Dans les années 1980 s’ouvre une période où Israël craint moins la menace extérieure que celle qui gronde en Cisjordanie occupée et dans la bande de Gaza. La colère populaire débouche en 1987 sur la première Intifada, la «guerre des pierres», qui voit la jeunesse palestinienne s’insurger contre les soldats d’Israël. Le CICR se retrouve au cœur de cette poudrière. Les négociations en vue d’une solution à deux États déboucheront en 1993 avec l’accord d’Oslo, offrant l’espoir d’une paix durable – lequel sera vite douché.
«On m'a proposé d'aller en Israël TO [Territoires Occupés] comme juriste, et j'ai d'abord passé quatre mois à la division juridique à Genève pour me familiariser avec le sujet. Le chef de la division juridique m’a demandé de faire une étude systématique, circonstanciée, de l'histoire des relations du CICR et de l'autorité israélienne, relativement à l'applicabilité de la quatrième convention (de Genève, relative à la protection des civils en temps de guerre, ndlr.). Lors de l'invasion de la Cisjordanie et de Gaza, dans les tout premiers mois de 1967, cette convention avait tout simplement été incorporée aux ordres militaires en vigueur.
Et puis vers l'automne 1967, un fin juriste s'est rendu compte que c'était bien plus problématique que ça en avait l'air du côté israélien. Donc, alors que les Israéliens étaient partis avec l'idée de faire appliquer cette convention dans sa totalité, ils sont revenus sur cette position. Ils se sont rendu compte que si on admettait le concept d'occupation, on admettait du même coup que ça avait appartenu à quelqu'un d'autre. Or, cette terre, il n’y avait pas si longtemps que ça, avait été soumise à la loi ottomane pendant 500 ans. Et qu'est-ce que c'était que la Palestine d’il y a 500 ans? Le statut assez discutable, la loi ottomane avait tantôt préservé quelques coutumes locales, tantôt introduit ses propres règles, ce n'était pas très facile à distinguer…
Par conséquent, il y avait là un flou assez intéressant pour qui envisageait éventuellement de mettre la main sur tout ou partie de ces territoires. Donc à partir de là, l'autorité a mis en question l'applicabilité de la quatrième convention, et a adopté cette position bien connue: «Nous appliquerons les dispositions humanitaires de la quatrième convention, mais nous les appliquerons de facto et non pas de jure, tout simplement en vertu d'une décision souveraine prise par souci humanitaire ». Et lorsqu'on demandait quelles étaient les dispositions humanitaires de la quatrième convention, on n’obtenait pas de réponse, bien entendu!
Quels que soient les différents partis qui se sont succédé au pouvoir, la position d’Israël est restée invariablement la même, mais alors qu’est-ce qu’on nous a promenés... Le CICR a produit des kilos de papier, j'ai trouvé des rapports magnifiques, des analyses juridiques splendides… J’ai tout de suite compris qu'il n’y avait pas de rôle pour un juriste là-bas, bien que le CICR se soit appliqué à avoir un juriste en permanence dans cette délégation, parce que le problème était politique. On pouvait s'époumoner, on pouvait s'épuiser à continuer à jouer aux fins juristes, ça faisait rigoler le chef du département juridique de l'armée, qui était notre interlocuteur. Ils étaient maîtres dans l'art de nous trouver de nouveaux problèmes juridiques (rires), et puis on pédalait là-dedans, on aurait pu, on pouvait le faire à l'infini. Donc je n'ai pas été un juriste très productif pendant cette période-là.
(...) Juste en passant, j'ai découvert quelque chose qui m'a un peu étonné parce que je ne m’attendais pas que ça se manifeste de cette façon-là. J'ai découvert qu’une partie de la jeunesse israélienne était raciste. Je sentais que la justice et le président de ce tribunal (un des tribunaux militaires israéliens dans les territoires, ndlr.) en particulier, et un certain nombre d'autres intervenants, étaient préoccupés par ce problème. Et nombreuses ont été les réactions extrêmement violentes de ce président face à des déclarations des accusés. «Pourquoi l'avez-vous laissé? – Ouais, mais enfin bon, c'était un Palestinien!» Des choses extrêmement vives et fortes. Bon, j'ai appris quelque chose là, qui était utile. J'ai appris à nuancer, à ne pas mettre tout le monde dans le même bain, mais aussi qu'il y avait une extrême-droite. Que dans la population [israélienne], une hostilité, une radicalisation s'était opérée.
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