OPINION. Les enfants des «Gastarbeiter» devenus électeurs en Allemagne sont devenus un facteur de sécurité face aux populismes et pour le rétablissement de la paix sociale et de la stabilité économique, écrit Ihsan Kurt, conseiller municipal socialiste à Prilly et spécialiste de la migration
Les élections fédérales allemandes anticipées ont lieu ce 23 février pour renouveler les 630 sièges du Bundestag. Dans le contexte de crise économique et politique que traverse le pays, quelque 13% des électeurs auront un rôle essentiel dans les résultats: ceux qui sont issus de l’immigration.
Tout au long de l’histoire européenne récente, l’Allemagne a joué un rôle important dans l’acceptation des immigrants et du multiculturalisme. Dans les faits, c’est le concept de «travailleur invité» (Gastarbeiter), mis en place dans la seconde moitié du XXe siècle pour soutenir le développement économique, qui a créé les bases du multiculturalisme dans le pays. A ce sujet, l’importance des communautés turque et kurde est indéniable. Aujourd’hui, ces communautés sont devenues un électorat important qui peut exercer son droit de vote et être élu en obtenant la citoyenneté allemande.
Plusieurs élus de ces communautés sont membres du parlement fédéral ou représentent l’Allemagne au Parlement européen. Selon les données de Mikrozensus (2023), plus de 17 millions de personnes vivant en Allemagne ont un passé migratoire et 41% (7,1 millions) d’entre elles ont le droit de vote au niveau fédéral. Les sociaux-démocrates du SPD et les chrétiens-démocrates de la CDU sont les deux partis qui attirent le plus de votes des diasporas. Sauf que le récent «Programme d’urgence» annoncé par Friedrich Merz, le chef de la CDU, en faveur du durcissement de la politique de migration et de la naturalisation, pourrait attirer probablement les voix de la droite, mais lui fera perdre une partie importante de l’électorat issu de l’immigration extra-européenne.
Cependant, avec la montée de l’extrême droite qui menace non seulement la cohésion nationale, mais aussi la paix en Europe, le poids des électeurs issus de l’immigration dans la préservation de la démocratie allemande est plus important que jamais. En effet, un retour de l’extrême droite aujourd’hui pourrait accroître la polarisation sociale, affaiblir la structure démocratique de l’Allemagne et créer une atmosphère d’insécurité en Europe où le populisme ne cesse de gagner du terrain. Les partis d’extrême droite en Allemagne ont gagné en force pour des raisons telles que les crises économiques, la hausse des prix de l’énergie et les réactions croissantes contre les immigrants, en lien parfois avec des attaques qui ont frappé l’opinion publique. Ces formations, avec leur politique hostile aux énergies renouvelables, leur refus du multiculturalisme et leur éloignement de l’UE, peuvent causer des dommages non seulement à l’Allemagne, mais aussi à la stabilité mondiale. Leur posture, qui polarise dans les domaines de la politique intérieure et étrangère, a des effets négatifs surtout sur les communautés d’origine immigrée. Et la menace qui pèse sur la société multiculturelle pourrait saper la compréhension intégrative de son identité que l’Allemagne est parvenue à construire jusqu’ici.
En face, les sociaux-démocrates (SPD), en tant que parti qui a historiquement soutenu le multiculturalisme, ont un rôle important à jouer dans la défense des droits des électeurs issus de l’immigration. Cependant, la politique du SPD, incompatible avec celle de ses ex-partenaires de coalition, limite sa capacité à proposer une opposition et des solutions efficaces. Un flou qui pousse les milieux de la diaspora à s’interroger sur leur soutien à ces mêmes sociaux-démocrates.
La politique du SPD, qui a commencé avec Willy Brandt et s’est poursuivie jusqu’à nos jours, a participé à faire de l’Allemagne une société moderne, inclusive et tolérante. Le discours de Willy Brandt sur «plus de démocratie» et son leadership en faveur de la réconciliation sociale ont été un tournant en Allemagne, favorisant l’intégration des immigrants et des différentes identités culturelles dans la société. Le gouvernement d’Helmut Schmidt (SPD) a continué à souligner l’importance de la vie multiculturelle pour l’Allemagne et défendu l’idée que la prospérité économique ne dépendait pas que de la contribution des citoyens allemands, mais aussi de celle des immigrants.
En Allemagne, 7 millions de personnes issues de l’immigration, dont environ 3 millions originaires de Turquie, ont le droit de vote et d’éligibilité. Que cet important électorat se rende aux urnes est essentiel pour la préservation de la structure démocratique du pays et le développement d’une société multiculturelle. Les électeurs issus de l’immigration ont le pouvoir d’agir comme un contrepoids dans les régions où l’extrême droite est en hausse et de contribuer au renforcement des partis qui soutiennent le multiculturalisme.
Il faut le reconnaître: les enfants des Gastarbeiter sont devenus un facteur de sécurité pour la plus grande économie d’Europe face aux populismes et pour le rétablissement de la paix sociale et de la stabilité économique.