L’administration Trump ne fait pas rêver. Parole de Philippe Nantermod. Mais pour le conseiller national libéral-radical, cela ne suffit toutefois pas à discréditer tous les propos tenus, comme ceux du vice-président J. D. Vance à Munich à l’occasion de la Conférence sur la sécurité. Notamment concernant la liberté d’expression sur notre continent
J. D. Vance: dissocier l’œuvre de son auteur. Peut-on dissocier l’œuvre de son auteur? C’est une question qui revient sans cesse, et elle se pose à nouveau avec le discours du vice-président américain J. D. Vance à Munich. Un esprit libéral a du mal à accepter les excès absurdes, la brutalité et la grossièreté dont a fait preuve la nouvelle administration américaine en à peine un mois.
Entre des droits de douane aussitôt annoncés et aussitôt retirés, un mépris flagrant pour les engagements internationaux et une attitude belliqueuse, l’équipe Trump ne fait pas rêver. Alors forcément, quand le second de celui qui n’a jamais admis sa défaite en 2020 se met à donner des leçons de démocratie, le message passe mal.
De même, comment prendre au sérieux un discours sur la liberté d’expression venant d’un gouvernement qui n’hésite pas à marginaliser la presse qui lui déplaît? On pourrait s’arrêter là et critiquer stérilement la première puissance mondiale. Après tout, l’antiaméricanisme, justifié ou non, reste la posture la plus conformiste en Europe.
Mais on peut aussi, à l’instar de la présidente de la Confédération, écouter les discours pour ce qu’ils sont, au-delà de nos oppositions idéologiques. Sous cet angle, le discours de J. D. Vance mérite d’être regardé autrement. Et surtout d’être lu dans son texte. Contrairement à ce qui a été affirmé, il n’a pas parlé «d’ennemis de l’intérieur», mais de «menaces internes». Une nuance qui compte. Il n’a pas plaidé pour un libéralisme économique débridé, mais pour la liberté d’expression et la reconnaissance des voix dissidentes.
Sur ces sujets, a-t-on un problème en Europe? Assurément. Depuis quelques années, la liberté d’expression en Europe fait face à des velléités régulatrices inquiétantes. Il n’est pas nécessaire d’être un partisan d’Elon Musk pour rappeler qu’en démocratie la censure n’a pas sa place. Une opinion, quelle qu’elle soit, ne devrait être jugée qu’après sa diffusion, jamais en amont. Même si cela peut sembler curieux a priori, en matière de liberté, la répression est toujours meilleure que la prévention.
Pourtant, en Europe – et en Suisse aussi –, des voix s’élèvent pour appeler à un contrôle accru des réseaux sociaux, de peur que certaines idées jugées «problématiques» ne se propagent. Une élue verte zurichoise a même suggéré de «bloquer» Twitter. Jusqu’ici, ce genre de pratiques étaient l’apanage de régimes autoritaires comme celui des mollahs en Iran. Désormais, elles trouvent un écho dans nos démocraties. Certes, certains exemples de J. D. Vance étaient caricaturaux. Mais est-il vraiment normal d’être condamné à de la prison, en Europe, en Suède précisément, pour avoir mis le feu à un exemplaire du Coran?
De même, J. D. Vance a-t-il tort lorsqu’il critique l’Europe pour son incapacité à intégrer toutes les sensibilités politiques? Nous constatons chaque jour l’inefficacité de la stratégie du «cordon sanitaire» contre les extrêmes. Nos voisins français n’ont pas empêché la montée de l’extrême droite grâce au front républicain, et c’est un euphémisme que de le dire. On en vient même à redouter que des mouvements relégués aux marges de l’Histoire finissent par se retrouver aux portes du pouvoir, précisément parce qu’on a tenté de les censurer plutôt que de les combattre sur le terrain des idées.
D’ailleurs, l’Alternative für Deutschland tient sa deuxième position dans les sondages allemands depuis 2023. Difficile d’attribuer le succès attendu de l’extrême droite à la réélection de Donald Trump… Et la politique de l’autruche n’a donné aucune réponse satisfaisante aux citoyens nombreux qui s’inquiètent d’une politique migratoire perçue comme hors de contrôle.
Karin Keller-Sutter a raison lorsqu’elle affirme que ce discours contenait un «esprit suisse». Notre pays, jusqu’ici, a su composer avec toutes les forces politiques qui comptent. Nous n’avons pas eu besoin d’un Conseil supérieur de l’audiovisuel pour dire ce qui est acceptable ou non. Nous nous sommes passés de lois visant à encadrer le débat public.
Dire cela ne signifie en rien cautionner J. D. Vance ou l’administration Trump. C’est simplement une posture pragmatique face à un allié aux manières brusques, mais dont certaines critiques méritent d’être entendues. Entrer dans un jeu d’opposition pavlovien, à coups de pétitions en ligne contre la ministre la plus populaire du gouvernement suisse relève plus d’enfantillages de politique politicienne que d’une réelle capacité à débattre librement, sans censure ni anathèmes.