CHRONIQUE. Des scientifiques des Universités de Göteborg et de Stockholm ont observé que les mâles drosophiles ont développé une vision aiguisée pour contrer les stratégies des femelles qui cherchent à les leurrer. Ces résultats sont publiés dans la revue scientifique «Evolution»
Pour séduire une femelle, tout est affaire de cadeau nuptial chez les drosophiles, petite mouche du vinaigre. Les mâles se doivent d’offrir une savoureuse proie en guise de préambule s’ils espèrent conclure. Un rituel bien rodé au point que, durant leurs courtes vies, les femelles ne cherchent pas de nourriture par elles-mêmes, se contentant des présents qui leur sont destinés pour obtenir un apport énergétique suffisant afin de pondre leurs œufs. Les mâles s’y retrouvent puisque en nourrissant l’objet de leur convoitise, ils pourront fertiliser ses œufs et ainsi transmettre leurs gènes.
Pour ce faire, les mâles sélectionnent soigneusement leur «proie»: une femelle prête à se reproduire. Ils choisissent donc une mouche relativement grosse, avec un ventre bien rond qui indique que les œufs sont prêts à être pondus.
Mais un jour… certaines cibles se sont mises à tricher! De jeunes femelles pas encore fertiles gonflent leur abdomen et développent davantage de poils afin de paraître plus grosses. En agissant de cette manière, elles s’assurent un festin auprès de mâles naïfs et pourront plus tard pondre davantage d’œufs.
Les mâles, eux, ne tirent aucun avantage à nourrir des femelles qui ne se reproduisent pas avec eux. Les scientifiques des Universités de Göteborg et de Stockholm ont alors observé que la riposte s’organisait. Au fil des générations, les mâles sont en effet en train de s’adapter.
L’équipe de recherche a observé que chez les espèces de drosophiles dont les femelles avaient davantage recours à des feintes pour paraître plus grosses, les mâles avaient de plus gros yeux. Et les mâles avec les yeux les plus gros avaient un meilleur succès reproductif que les autres. Pourquoi? Simplement parce qu’ils ont une vue plus aiguisée qui leur permet de repérer les tricheuses et d’identifier les femelles réellement prêtes à pondre.
C’est donc un phénomène évolutif que les scientifiques observent presque en temps réel, grâce à la très courte durée d’une génération chez les mouches. Dans un premier temps, les femelles qui réussissaient à leurrer les mâles ont été avantagées par sélection naturelle. Dans un second temps, les mâles ayant la vue la plus aiguisée sont favorisés au fil des générations parce qu’ils réussissent mieux à se reproduire. C’est une vraie course aux armements évolutive entre mâle et femelle.
Et les scientifiques s’attendent à ce que cette course se poursuive. Alors, quel sera le prochain coup des femelles pour contrer la vue aiguisée des mâles? Les chercheurs l’ignorent, mais ne doutent pas qu’elles développeront de nouvelles stratégies… Affaire à suivre.
* Wiberg et coll., Sexually antagonistic coevolution can explain female display signals and male sensory adaptations. 2024. Evolution, Volume 78, Issue 12. https://doi.org/10.1093/evolut/qpae133