A la tête d’un des plus anciens restaurants italiens de Suisse romande, le patron de La Rouvenaz a fait de l’héritage familial un berceau de saveurs sans cesse renouvelé
Des spaghettis faits maison aux vongole servis dans une assiette traditionnelle. A côté, un plateau royal de fruits de mer. Une pizza Montreux Jazz, composée de mozzarella fior di latte, sauce tomate, bresaola, mascarpone. Et un Château Briand sur ardoise. Quiconque a déjà mangé à La Rouvenaz, à Montreux, s’est étonné de voir des tablées si riches en expériences culinaires. Et de constater qu’entre les visites, des détails changent, la décoration se renouvelle. Situé en contrebas de la rue pavée du Marché, ce restaurant, tenu par la même famille depuis soixante ans, a aussi le mérite d’avoir été parmi les premiers à miser sur la gastronomie italienne.
A sa tête, Ezio Vialmin, décrit par certains comme un patron intransigeant, par d’autres comme un entrepreneur timide, a l’humilité des gens sérieux qui ne se reposent jamais sur leurs lauriers. Une force de travail qu’il tient, selon ses proches, de ses parents. Son père Aurelio est originaire d’Udine, au nord de l’Italie. Il est arrivé en Suisse après un passage à Londres, où il a travaillé dans l’hôtellerie-restauration. Avec sa jeune épouse Monique, fille d’hôteliers à Aigle, ils décident de reprendre ce restaurant pour y servir pâtes et pizzas.
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Au début des années 1960, les pizzerias se résumaient à Mario à Lausanne et à L’Age d’Or à Genève. «Cela peut sembler fou quand on voit la place que cette cuisine a prise dans les habitudes des Suisses! A l’époque, il y avait une méconnaissance totale de ces spécialités, et même carrément une xénophobie vis-à-vis de tout ce qui était associé à cette main-d’œuvre importante pour la construction, la restauration et l’hôtellerie», relève-t-il.
Fils unique, il découvre assez vite que la vie de restaurateur est spéciale. «Je n’ai jamais manqué de rien, mais j’avais conscience de ne pas être comme les autres. J’enviais mes amis qui passaient leurs soirées et leurs week-ends avec leurs parents», poursuit-il. Il savoure tout de même sa grande liberté. Les quais situés juste en face du restaurant étaient sa place de jeu. Et le club de tennis de Montreux, un sport qu’il pratique depuis son plus jeune âge, sa deuxième famille. «Ce style de vie m’a donné une maturité précoce. Cela m’a appris à me débrouiller tout seul et à être indépendant très rapidement», estime-t-il.
Ce qu’il fait, sitôt ses études à l’Ecole hôtelière de Genève terminées. Après Londres chez les Frères Roux puis le Hilton, il passe par l’hôtel Accor à Zurich, le Gstaad Palace et le Park Hôtel Reuteler dans la station des Alpes bernoises. Mais c’est en rejoignant, à la fin des années 1980, le groupe Mövenpick Hotels International à Zurich, puis à Lausanne comme responsable de la restauration, qu’il découvre une vision de l’hôtellerie-restauration qui le marquera – celle du fondateur du groupe, Ueli Prager. «Cet homme d’affaires a réussi à créer un food marketing extrêmement puissant: il réinventait continuellement la marque. Aller manger chez Mövenpick, c’était vraiment une expérience. Il m’a donné une force de diversification et la certitude qu’il ne faut jamais tomber dans la routine», analyse-t-il.
Pendant ce temps, à Montreux, ses parents subissaient la crise des années 1990: «Les taux hypothécaires avaient grimpé. Ils étaient fatigués et démotivés, d’autant plus qu’à l’époque ce métier demandait pratiquement une présence permanente, on travaillait facilement entre 15 et 18 heures par jour», se souvient Ezio Vialmin.
De passage à Montreux, il se rend compte de la situation et leur propose de reprendre l’entreprise familiale. Agé alors de 27 ans et supposé partir pour faire carrière dans l’hôtellerie internationale, il trouve un partenaire bancaire qui soutient son projet de rachat en 1993. Premier challenge: «rajeunir l’instrument de travail en le mettant au goût du jour». Aux nouveaux collaborateurs s’ajoute un nouveau style de décor, plutôt en avance sur son temps. «Avec mon épouse Lorena, qui m’a donné deux enfants, Virginia et Matteo, nous avons cette passion de toujours vouloir changer de décoration. Il m’arrivait de me lever le matin avec une idée et de repeindre la salle le soir après le service!» se souvient-il.
Un an plus tard, il fait le pari d’installer devant le restaurant un banc d’écailler entre décembre et mars. «C’était vraiment peu commun pour la Riviera. La première saison a été difficile: il fallait habituer la clientèle locale à manger ces fruits de mer, sachant qu’on n’est ni à Paris ni dans le bassin de Marennes-Oléron! Mais la formule a séduit: mon premier écailler est resté vingt ans. Le second, Grég, est là depuis dix ans», s’enthousiasme-t-il.
Cette offre a coïncidé avec le développement du marché de Noël de Montreux, qui a drainé dès le début des dizaines de milliers de personnes. Comme la manifestation n’avait pas de restaurants éphémères les premières années, La Rouvenaz, idéalement située près des chalets, a connu des périodes de l’Avent assez fastes. Si bien que l’affaire familiale prospère: avec la création d’un service traiteur, attitré du centre des Congrès, un hôtel d’une vingtaine de chambres dans le bâtiment attenant, une œnothèque, et même une marque de pâtes fraîches, Tempo di Pasta. Sur les rives du lac, juste en face, la famille avait négocié en 1991 un emplacement stratégique. L’offre développée avec son cousin Massimo Tarozzi se décline en deux versions: Les Voiles de La Rouvenaz – cuisine d’été sur une grande terrasse à ciel ouvert – et La Rouvenettaz – sous une grande structure éphémère pour le marché de Noël. Au total, l’entreprise emploie plus de 70 personnes.
«Ezio Vialmin est quelqu’un de la vieille école, comme on dit: il a des valeurs fortes, il peut être très sévère parfois, mais juste et droit au final: il donnera toujours sa chance à ceux qui se remettent en question et veulent aller de l’avant. Il tient à ce que tout soit bien organisé et structuré, tant au niveau privé que professionnel», estime Giovanni Tassistro, ancien employé de La Rouvenaz désormais à la tête des restaurants Cipollino à Lausanne et Genève. Il considère celui qui est devenu son beau-père comme un mentor.
Quand il n’est pas en train de réfléchir à de nouveaux concepts pour sa clientèle, ce visionnaire trouve des idées d’événements pour booster le tourisme de la Riviera. Il a organisé en 2002, 2006, 2012, 2016 et 2018 le Montreux Grand Prix – en hommage à la course qui avait eu lieu en 1934 – avec des bolides d’avant-guerre à nos jours. Ces éditions ont toujours été un succès populaire. «Pour une destination comme Montreux, c’est du pain béni d’avoir quelqu’un comme lui, relève Christoph Sturny, directeur de Montreux Vevey Tourisme. Il met toujours la barre plus haut pour améliorer le service, la prestation et le produit. Il pense sans cesse à la qualité d’accueil de la ville!» En digne enfant chéri par la douceur des rives montreusiennes, entre ses quais et ses courts, qui reste infatigable.
1965 Naissance.
1987 Diplôme de l’Ecole hôtelière.
1993 Reprise de La Rouvenaz.
1996 Création de Montreux Catering, service traiteur au Centre des congrès de Montreux.
2013 Ouverture de l’hôtel de La Rouvenaz.
2019 Création du laboratoire de pâtes fraîches Tempo di Pasta.
2025 Soixante ans de La Rouvenaz.