CHRONIQUE. Afin de ne pas dépendre que des socialistes, le premier ministre français semble prêt à draguer l’extrême droite. L’épisode de la «submersion migratoire» le montre bien. Mais les mots ont un sens

Je vous parlais il y a quelques mois de mon amie Julie Neveux, linguiste et chroniqueuse qui se penche si bien sur les mots qui font notre époque. Cette maître de conférences en linguistique à la Sorbonne, autrice de Je parle comme je suis (Grasset), décryptait sur France Inter comment certaines formules récurrentes de la politique française, comme «décivilisation» ou «ensauvagement», n’ont pas d’autre agenda politique que d’être clivants. Pour elle, ces «signaux de reconnaissance» interprétés toujours dans le même sens, désignant sans le dire et sans argument «les coupables de tous nos maux», jouent sur «la peur du déclin, cette peur typique de l’humain depuis qu’il se sent plus civilisé que les autres humains». Et surtout, ces expressions «assouvissent notre envie de comprendre au risque d’aplatir une situation complexe» jouant sur des «émotions primaires mauvaises conseillères».

Je vous parlais aussi ici, la semaine dernière, de la hasardeuse position de force des socialistes français face à un François Bayrou menacé par la défiance parlementaire. Avant ce début de semaine semé de 49.3 et de motions de censure, le fragile premier ministre français d’un centre qui doit séduire le PS ou le RN a risqué une de ces formules, un de ces «signaux de reconnaissance»: la locution en question cette fois, c’est la «submersion» migratoire ou plutôt le «sentiment de submersion». Ce faisant, il envoyait un signe à la droite dure alors qu’il avait été forcé d’en envoyer plusieurs autres aux sociaux-démocrates sur le budget. L’expression a tant choqué à gauche que les socialistes ont menacé de quitter les négociations.

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