Les États-unis imposeront des droits de douane de 25% sur les produits du Canada dès ce 1er février. Ottawa envisage différents scénarios pour riposter, mais semble pris de court par l’ampleur de la punition. La tension est à son comble.
«Le président va imposer demain 25% de droits de douane au Mexique, 25% de droits de douane au Canada et 10% de droits de douane à la Chine pour le fentanyl illégal qu’ils produisent et dont ils permettent la distribution dans notre pays», a déclaré vendredi la porte-parole de la Maison Blanche, Karoline Leavitt. Comment le voisin du nord peut-il réagir? Dès le printemps dernier, Ottawa a mis en place une «Team Canada (équipe Canada)» pour se prémunir d’un retour de Donald Trump. Cette dernière, composée de diplomates et de politiciens, a rencontré des centaines de chefs d’entreprise et de politiciens à travers les États-unis, particulièrement dans les États pro-Trump, pour les convaincre que le Canada était plus un atout commercial qu’un inconvénient. Mais l’imprévisibilité du républicain a totalement détruit la stratégie d’un gouvernement fédéral qui a paru sonné par cette annonce.
Professeur d’économie à l’université McGill de Montréal, Julian Karaguesian explique que les conséquences pour le Canada de cette hausse des droits de douane «seront généralisées et de grande portée: récession, bouleversement économique, chômage, diminution des recettes fiscales du gouvernement, pression à la hausse sur les dépenses et augmentation des déficits budgétaires et de la dette.» Selon une étude économique de la banque Scotia, «le PIB canadien pourrait se replier à hauteur de 5,6%» si le Canada riposte avec lui aussi des mesures douanières ou «de 3,8% sans représailles». Sans détailler ce qu’il compte faire pour répliquer à Donald Trump, le premier ministre canadien, Justin Trudeau, a toutefois déclaré: «Notre réponse est prête. Une réponse déterminée, énergique, mais raisonnable et immédiate». Professeur à l’École d’études politiques de l’université d’Ottawa, Ivan Katchanovski confie: «Le Canada envisage de cibler ses mesures de rétorsion contre des États américains contrôlés par les républicains, comme la Floride et le Kentucky ou qui sont des États clés, comme le Michigan.» Même si la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a vaguement évoqué l’idée d’une «taxe Trump», la riposte est surtout venue des durs de la confédération.
L’ex-premier ministre libéral Jean Chrétien, 91 ans, adepte de la manière forte, a donné ce conseil au jeune Trudeau: «On ne gagne pas un match de hockey en jouant seulement en défensive. Nous savons tous que même si nous satisfaisons une demande, le président Trump reviendra avec une autre, plus importante. Ce n’est pas de la diplomatie, c’est du chantage.» L’ex-ministre des Finances, Chrystia Freeland, numéro deux du gouvernement jusqu’en décembre dernier et toujours très respectée, a proposé de cibler les entreprises des «amis milliardaires» du président américain. Celle qui est aussi candidate à la succession de Justin Trudeau souhaite que le Canada «mettre en œuvre des droits de douane de 100% sur tous les véhicules Tesla» d’Elon Musk.
Chrystia Freeland s’est aussi adressée à ses concitoyens dans une lettre ouverte dans le quotidien Le Devoir. «Être intelligents, c’est frapper là où ça fait mal. Si le président Trump impose des tarifs douaniers de 25%, nous devons répondre dollar pour dollar, de manière précise et minutieusement ciblée. Que les producteurs d’oranges de Floride, les fabricants de lave-vaisselle du Michigan et les producteurs laitiers du Wisconsin se tiennent prêts», a-t-elle dit. Et l’ancienne négociatrice pour le Canada du nouvel Alena en 2017 a rappelé que son pays «est le plus grand marché d’exportation des États-Unis. Nous pouvons faire la même chose (qu’eux). Des représailles à hauteur d’un dollar pour un dollar pourraient générer jusqu’à 150 milliards de dollars canadiens (94 milliards de francs) sur un an».
C’est surtout le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, qui, affublé d’une casquette Canada is not for sale (le Canada n’est pas à vendre), a sonné la charge en menaçant Trump de couper les exportations d’électricité de l’Ontario vers les États-Unis. Le Québec, hésitant, lui a emboîté le pas. Les premiers ministres provinciaux, à l’exception de l’Alberta, se sont ralliés à l’idée de bloquer les exportations d’énergie vers les États-unis, des ventes qui représentent 166 milliards de dollars canadiens (104 milliards de francs) par an. «Couper les exportations de pétrole est l’option nucléaire», a titré récemment la chaîne de télévision CBC. Ivan Katchanovski ajoute: «Les droits de douane américains sur le pétrole canadien ou des mesures de rétorsion canadiennes ciblant les exportations de pétrole (…) feraient augmenter les prix de l’essence aux États-Unis.»
Donald Trump l’a compris. Il n’imposera que des droits de douane de 10% sur le pétrole canadien et ce seulement à partir du 18 février. Au-delà des rodomontades, Ottawa est dans une position de faiblesse et de dépendance économique vis-à-vis des États-unis. Environ 75% des exportations canadiennes vont vers les États-unis. Politologue, spécialiste des États-unis, le professeur Louis Balthazar conclut: «Vu la taille du Canada, nous affecterons peu l’économie américaine».