La contestation ne faiblit pas en Serbie où une grande marche étudiante contre la corruption («Un pas vers la vérité») a commencé ce jeudi de Belgrade à Novi Sad, là où l’effondrement d’un auvent mal construit a fait 15 morts en novembre. Dans cette lettre ouverte, 50 personnalités serbes appellent les responsables de l’UE à cesser leur soutien à un régime «instable et dangereux», sous prétexte d’éloigner la Serbie de l’influence russe

Cette lettre a été adressée à:

Mme Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne
Mme Marta Kos, commissaire désignée à l’Elargissement
Son Exc. M. Emanuele Giaufret, ambassadeur de l’Union européenne en Serbie
M. Tonino Picula, rapporteur pour la Serbie au Parlement européen

Belgrade, le 29 janvier

Mesdames, Messieurs,

Nous vous interpellons en tant que responsables de l’Union européenne, élus et défenseurs des valeurs européennes, pour exprimer notre profonde préoccupation face à la situation politique actuelle en Serbie.

Au moment où nous écrivons ces lignes, le régime en Serbie est profondément ébranlé par une contestation étudiante et citoyenne sans précédent. Elle a été provoquée par la mort de 15 personnes dans l’effondrement de l’auvent de la gare de Novi Sad, reconstruit dans un contexte évident de corruption et de malversations. Toutes les informations disponibles sur les causes de ce crime mènent directement au sommet de l’Etat. La rébellion étudiante, les blocages des facultés dans toute la Serbie, les arrêts de travail et les manifestations massives des citoyens envoient un message clair: le règne de la corruption doit prendre fin une fois pour toutes.

Mais ce qui nous indigne encore davantage, et qui constitue l’un des motifs essentiels de cette lettre, c’est que ce régime n’aurait pu se maintenir aussi longtemps sans la posture ambivalente et incohérente de l’Union européenne vis-à-vis de la Serbie. Depuis des années, Bruxelles ferme les yeux sur les dérives du pouvoir en place et, pire encore, l’a parfois soutenu ouvertement. L’Europe, dont l’économie serbe dépend presque entièrement depuis plus de vingt ans, semble systématiquement détourner le regard devant les aspects gênants et fondamentalement anti-européens de l’actuel pouvoir en Serbie.

Devant la faculté de droit de Belgrade, 29 janvier 2025. — © ANDREJ CUKIC / keystone-sda.ch
Devant la faculté de droit de Belgrade, 29 janvier 2025. — © ANDREJ CUKIC / keystone-sda.ch

Un régime criminel qui s’en prend au peuple

En Serbie, sous le règne de Vučić, les fonctionnaires qui osent s’opposer à la dérive criminelle du régime sont persécutés. On cache les preuves de meurtres dans lesquels sont impliqués de hauts fonctionnaires. Les policiers qui mettent en lumière les liens du régime avec le crime organisé sont menacés de mort, tandis que ceux qui battent à mort des détenus dans les commissariats restent impunis. Les travailleurs sont contraints d’assister à des rassemblements de soutien au régime sous peine de licenciement. Des militants, des étudiants, des professeurs, des journalistes et des membres des partis d’opposition sont détenus, arrêtés, suivis et placés sur écoute, alors que les milices du régime et activistes du Parti progressiste serbe qui attaquent les citoyens de manière organisée sont acquittés.

Lire aussi: En Serbie, les étudiants viennent à bout du gouvernement

Malgré tout cela, le pouvoir d’Aleksandar Vučić est ouvertement soutenu, ou du moins toléré, par les principaux acteurs de la politique européenne, alors que ses actes sont en totale contradiction avec les valeurs européennes les plus élémentaires.

L’Union européenne considère comme des phénomènes éphémères et secondaires le contrôle complet du régime sur les médias nationaux, la paralysie du système judiciaire, les listes électorales falsifiées et même les attaques terroristes au Kosovo perpétrées par des personnes qui bénéficient de la protection de l’Etat et réalisent des millions de dollars de profits. Afin d’éloigner la Serbie de l’influence russe, l’Europe a choisi d’appuyer un régime instable et dangereux, dirigé par un chef d’Etat qui n’hésite pas à brandir la menace paramilitaire et à instrumentaliser des extrémistes pro-russes pour maintenir son pouvoir.

Bruxelles doit réaliser que la Serbie est instable et dangereuse

Dans le contexte actuel de grandes tourmentes mondiales, l’Europe, ses acteurs politiques tout comme son opinion publique devraient clairement avoir à l’esprit que la Serbie, sous le règne d’Aleksandar Vučić, est devenue instable et dangereuse pour la sécurité de tous. L’inaction européenne, l’influence russe permanente et les activités du crime organisé convergent dans le soutien à un régime ouvertement criminel qui représente une menace sérieuse, non seulement pour la réalisation des droits élémentaires des citoyens serbes, mais aussi pour la sécurité et la stabilité régionales et européennes.

Cette analyse s’illustre notamment par les nombreuses menaces adressées aux citoyens de l’Union européenne sur le territoire de la Serbie, y compris le défoulement récent de la police serbe sur les citoyens de Croatie, de Slovénie, de Roumanie, ainsi que de Macédoine du Nord et d’Albanie, et leur expulsion sans aucune base légale. Le régime, qui sombre dans une crise grave, s’emploie désormais intensément à créer un potentiel de conflits dans la région, tout en exacerbant les tensions nationalistes et en relançant des spéculations paranoïaques sur les «agents de l’étranger».

Aujourd’hui, les citoyens serbes se battent pour la démocratie, la liberté de la presse et l’indépendance de la justice, ce sont les valeurs qui sont le fondement même de l’Union européenne. L’histoire a déjà démontré où mènent l’indulgence et l’aveuglement face aux régimes autoritaires et corrompus.

L’UE doit se montrer à la hauteur des valeurs qu’elle défend

Nous appelons les responsables européens à soutenir sans ambiguïté le combat en faveur d’une Serbie libre, démocratique et européenne. L’Union européenne ne peut plus se contenter de demi-mesures: elle doit se montrer à la hauteur des principes qu’elle défend. Le soutien aux processus démocratiques, à la lutte contre la corruption, à la lutte pour la liberté des médias et à la lutte pour la reconstruction d’un système judiciaire indépendant, complètement effondré depuis une décennie, exige d’être sans équivoque.

Dans l’espoir que vous voudrez bien accepter notre requête et ferez parvenir notre message à l’opinion européenne, qui a le droit et l’obligation de savoir ce qui se passe dans son voisinage immédiat, nous vous prions d’agréer à l’expression de nos chaleureuses salutations.

Signataires:

Dejan Atanacković, écrivain et activiste

Ivan Lalić, dramaturge

Aida Ćorović, historienne de l’art et activiste

Goran Marković, régisseur

Milica Čubrilo, Filipović, journaliste

Dušan Petričić, artiste

Rade Radovanovič, journaliste et écrivain

Irina Subotić, historienne de l’art

Mirjana Đurđević, écrivain

Dušan Teodorović, académicien

Marko Šelić, Marčelo, musicien et écrivain

Dubravka Stojanović, professeur à l’Université de Belgrade

Biljana Stojković, professeur à l’Université de Belgrade

Bane Trifunovič, comédien

Vesna Rakić Vodinelić, professeur à l’Université de Belgrade

Dr Vladimir V. Vodinelić, professeur à l’Université de Belgrade

Ljubodrag Stojadinović, journaliste et écrivain

Petar Peca Popović, journaliste

Biljana Vilimon, peintre

Nenad Kulačin, journaliste

Marko Vidojković, écrivain

Kokan Mladenović, régisseur

Dr Tatjana Verbić, professeur agrégé à l’Université de Belgrade

Stevan Filipović, régisseur

Novi Nebojša Milenković, historien de l’art et écrivain

Marija Srdić, activiste

Nenad Kostić, académicien

Dr Zoran Radovanović, professeur à l’Université de Belgrade à la retraite

Nebojša Romčević, dramaturge

Vesna Pešić, sociologue et femme politique

Ana Kotevska, musicologue

Biljana Stepanović, économiste

Dubravka Marković, journaliste

Tamara Džamonja Ignjatović, professeur à la faculté de philosophie

Jelisaveta Tatić, Čuturilo, scénographe

Tamara Tripić, DD Mreža (Réseau pour le dialogue démocratique)

Ana Hegediš Lalić, journaliste

Dinko Gruhonjić, professeur et journaliste

Maja Lalić, architecte

Marko Lađušić, artiste et professeur

Ljubiša Jovanović, professeur

Jelica Minić, présidente du Mouvement européen

Jelka Jovanović, journaliste

Aleksandar Baucal, professeur

Zoran Hamović, éditeur

Dragan Velikić, écrivain

Aleksandra Bosnić, Djuric, spécialiste en études culturelles

Srdan Golubović, régisseur