Les militants écologistes sont fréquemment convoqués devant la justice pour leurs actions de désobéissance civile, comme actuellement ceux de Just Stop Oil. Des ennuis judiciaires qui les obligent à revoir leur stratégie, ou à cesser leurs activités

Seize militants de l’organisation anglaise Just Stop Oil sont convoqués par la justice ce mercredi 29 janvier à Londres (Royaume-Uni). Ils sont jugés en appel dans le cadre de quatre affaires distinctes. Loin d’être une première pour le groupe britannique, ce procès s’inscrit dans une longue séquence judiciaire liée à des actions de désobéissance civile. Pendant le mois de janvier, Just Stop Oil a eu affaire à la justice à six reprises. En juillet dernier, quatre militants à l’origine de la fermeture d’une grande autoroute britannique en 2022 ont été condamnés à une peine collective cumulée de 21 ans de prison, un record en Grande-Bretagne.

Au moment d’écrire ces lignes, le service de communication du mouvement fait savoir que 17 militants de Just Stop Oil sont derrière les barreaux au Royaume-Uni, jugés par exemple pour avoir recouvert de soupe Les Tournesols de Van Gogh, pour le blocage d’autoroutes ou l’organisation de manifestations à l’aéroport de Heathrow. De nombreuses actions menées depuis 2018, moments forts de la désobéissance civile pour le climat, sont aujourd’hui jugées devant les tribunaux.

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Le mouvement d’activistes écologistes britanniques n’est pas le seul à passer une partie de son budget en amendes et frais d’avocat. Fin 2023, en France, le réseau Dernière Rénovation annonce la fin de ses actions de désobéissance civile, satisfaite d’avoir placé le sujet de la rénovation énergétique des bâtiments dans les discussions politiques. Dans les colonnes du Monde, Pierre Taieb, l’un des porte-parole, tournait la page ainsi: «Nous avons réalisé 188 actions de résistance civile, plus de 500 personnes se sont engagées dans ces opérations, dont 55 sont passées ou vont passer devant la justice, avec 32 procès passés ou encore à venir». Quelques semaines plus tard est créé Riposte Alimentaire, qui défend une alimentation durable, sur les cendres de Dernière Rénovation… Qui finira par jeter l’éponge, quelques mois après sa création, pour se concentrer sur ses procès.

Des organisations criminelles en puissance?

Si dans un premier temps, les tribunaux sont apparus comme un outil utile pour modifier ou ajouter différentes lois relatives à la protection de l’environnement, ces groupes ont aussi subi différents ajustements législatifs, relève Jevgeniy Bluwstein, chercheur en écologie politique à l’Université de Berne. «Participer à des actions de désobéissance civile a un coût. Quand les participants sont poursuivis devant la justice, cela représente des coûts d’avocats importants. Cela a un effet direct sur les participants jugés coupables, et sur les nouvelles générations de militants», détaille Jevgeniy Bluwstein.

Certains pays sont plus proactifs lorsqu’il s’agit de limiter les actions de désobéissance civile. Au Royaume-Uni, la situation est «préoccupante», s’était alarmé Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement, dans le journal Le Monde, en février 2024. En cause: l’adoption, en deux ans, de plusieurs lois criminalisant les actions pacifiques des activistes climat par les gouvernements conservateurs britanniques.

C’est pourtant depuis le Royaume-Uni, et plus précisément de l’Université de Bristol, qu’a été publié un rapport sur la criminalisation des protestations climatiques. Ses auteurs listent notamment quatre mécanismes de répression. Le premier: de nouvelles lois anti-manifestations. C’est-à-dire que la criminalisation des groupes activistes est renforcée, de nouveaux délits sont créés et les peines sont alourdies. Ensuite, les chercheurs mentionnent le détournement juridique: des lois antiterroristes ou anti-crime organisé sont utilisées contre les activistes. C’est par exemple le cas en Allemagne, où le collectif Dernière Génération a pu être assimilé à une organisation criminelle. Enfin, une répression policière accrue, ainsi que des assassinats et disparitions dans certains pays. Plus de 2000 défenseurs de l’environnement tués de 2012 à 2023, dont 401 au Brésil et 298 aux Philippines.

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«Nous ne vivons plus dans le monde d’Extinction Rebellion en 2019»

Les chercheurs de Bristol relèvent que, depuis 2019, 22 nouvelles lois pour restreindre les manifestations ont été adoptées dans les 14 pays étudiés. La Suisse ne fait pas partie des pays étudiés à Bristol. Pourtant, le pays a connu un tournant similaire, selon Jevgeniy Bluwstein. Dans son arrêt rendu le 26 mai 2021, le Tribunal fédéral avait refusé d’entendre parler d’état de nécessité licite pour les militants du climat qui avaient occupé les locaux de Credit Suisse à Lausanne. «Quand l’état de nécessité n’était plus invocable devant les tribunaux pour défendre les démarches de désobéissance civile, les militants font désormais valoir la liberté de rassemblement et d’expression», indique le chercheur. Un impact direct sur les actions menées, puisque «les militants font davantage attention à ce que les manifestations soient autorisées en amont».

Le débat

L’état de nécessité climatique: un concept peu convaincant

«Sur un plan juridique, l’état de nécessité suppose que l’infraction commise soit nécessaire et proportionnée pour détourner un danger. Le moyen utilisé doit donc être apte à atteindre le résultat recherché et il ne doit pas exister de moyen licite pour y parvenir. Dans le cas particulier, si le but était d’amener Credit Suisse à cesser ses investissements dans les énergies fossiles, il est douteux que l’occupation de ses locaux et la couverture médiatique recherchée y conduisent.»

Isabelle Fellrath, Dr. en droit, avocate et Olivier Francioli, avocat

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«Nous ne vivons plus dans le monde d’Extinction Rebellion en 2019», résume Jevgeniy Bluwstein. Une transformation qu’a bien comprise le groupe militant né en 2018, connu pour avoir remis au goût du jour les actions de désobéissance civile pour le climat. En 2022, ses porte-parole annoncent arrêter les actions non-violentes. S’il est délicat de faire un lien direct entre cette décision et les démêlés avec la justice, plusieurs membres du groupe activistes ont eu affaire à la justice ces dernières années. Quant au groupe britannique Just Stop Oil, il affirme poursuivre les actions de désobéissance civile en 2025.

Renovate Switzerland, qu’il faut à présent appeler «Act now!» admet que la stratégie de 2025 n’est plus celle de 2022. Le mouvement citoyen ne compte pas abandonner la désobéissance, mais diversifie ses actions. L’idée est désormais d’avoir «un panel varié d’activités et de projets, allant du programme de formation aux assemblées citoyennes», précise Marie Siebel, porte-parole du mouvement suisse.