CHRONIQUE. La baisse des prix du pétrole souhaitée par le président américain se heurte de plein fouet aux priorités des compagnies américaines, saoudiennes, voire russes, écrit notre chroniqueur Laurent Horvath, géo-économiste de l’énergie
Donald Trump souhaite que les extractions pétrolières mondiales augmentent afin de diminuer les prix du baril. Une énergie meilleur marché impacterait en effet à la baisse l’inflation et permettrait de réduire les taux d’intérêt pour stimuler la croissance aux Etats-Unis. Le président américain a donc demandé aux pays pétroliers de l’OPEP de se plier à sa requête. La proposition, à effet ricochet, semble séduisante. Cependant, elle ne résiste pas aux contingences des compagnies pétrolières, des pays extracteurs et des investisseurs.
En effet, les préoccupations d’un Etat sont souvent éloignées des objectifs du marché privé, comme le sont les attentes des pays riches face à celles des pays pauvres. Si la guerre en Ukraine avait sonné le clairon de profits stratosphériques pour les compagnies pétrolières, il n’a pas fallu attendre longtemps pour que leurs besoins insatiables de cash les rattrapent. L’objectif principal des Total, Shell, BP, Chevron, ExxonMobil, Eni n’est pas d’extraire du pétrole, mais de générer des bénéfices qui sont ensuite transformés en dividendes afin de fidéliser les investisseurs. Les extractions devenant de plus en plus dispendieuses, le cercle vicieux s’amplifie.
Pour les entreprises d’hydrocarbures nationales saoudiennes ou russes ainsi que pour les membres de l’OPEP, les bénéfices portent à bout de bras les budgets gouvernementaux. Extraire au prix le plus bas et vendre au prix le plus haut est une question de survie pour certains pays. L’organisation des Jeux asiatiques d’hiver 2029 en Arabie saoudite coûtera plusieurs centaines de milliards, tant pour amener l’eau que pour produire de la neige au milieu du désert. Riyad a besoin d’un baril dans les 80 dollars pour équilibrer son excentrique budget. A Moscou, la guerre repose en grande partie sur les cours élevés du gaz-méthane et du pétrole.
Du côté de Wall Street, l’explosion du pétrole de schiste au début des années 2010 avait été placée sous le signe de pertes abyssales. Aujourd’hui, les actionnaires attendent des retours sur investissements solides au risque sinon de quitter le navire. Les majors pétrolières ont oublié l’époque où elles foraient à tout va. Entre faillites, acquisitions et fusions, les pétroliers ont adopté une discipline stricte en matière de dépenses. Ils préfèrent renoncer à des augmentations rapides des extractions pour soigner leurs actionnaires en effectuant des rachats d’actions afin de faire grimper artificiellement leur valeur. Fin 2024, la dette nette des cinq principaux géants pétroliers occidentaux a ainsi atteint les 148 milliards de dollars, contre 92 milliards en 2022.
Sous la pression de Donald Trump, Mohammed ben Salmane, le souverain d’Arabie saoudite, a avancé le chiffre de 600 milliards de dollars d’investissements saoudiens aux Etats-Unis au cours des quatre prochaines années. Habile négociateur, le prince héritier sait déjà que cette promesse ne sera pas tenue, mais elle a le mérite de donner une illusion qu’une alternative existe au cas où le prix du baril ne descendrait pas.
Le seul véritable espoir de voir ce prix chuter réside dans une baisse de croissance en Europe, en Chine, voire en Inde. Mais cette alternative est redoutée par les majors pétrolières qui exploitent des gisements onéreux, particulièrement dans le schiste et l’offshore, où un baril entre 50 et 70 dollars est nécessaire pour couvrir les frais. Au Moyen-Orient ou en Russie, les coûts d’extractions évoluent entre 10 et 20 dollars pour un baril.
La doctrine de dominance énergétique des Etats-Unis sur le reste du monde repose ainsi sur la résilience géologique du plus grand gisement du monde dans le bassin permien au Texas ainsi que sur des prix du baril assez élevés pour que les géants américains puissent l’extraire. C’est là où réside le dilemme du président américain, dans sa quête de transformer son problème en un problème pour le reste du monde. Sa tentative s’inscrit dans le cadre des promesses faites lors de sa campagne. Elle pourrait bien le faire ressembler à Don Quichotte contre les moulins à vent, lui qui vient de suspendre toutes les nouvelles éoliennes.