Le duo electro neuchâtelois revient avec un nouvel album, «Golfinhos». Un hommage oblique aux patrimoines électroniques, accompagné d’une salvatrice décharge d’autodérision

Dans ses Exercices de style, Raymond Queneau racontait 99 fois la même histoire, mais de manière chaque fois différente («Récit», «Désinvolte», «Permutations par groupes croissants de mots», «Injurieux», «Modern Style», etc.). Dans Golfinhos, les Montagnons Etienne Bel et Julien Ledermann (alias le duo electro Estelle Zamme) traduisent une énergie continue en la modulant dans une palette de genres musicaux différents.

Ainsi ce Golfinhos («dauphins» en portugais, et il s’agit en effet là de l’animal totem que Ledermann et Bel se sont choisi dans un grand moment de portnawak) aligne-t-il toute une série de marqueurs musicaux: A Vida é Super ressuscite cette presque antiquité qu’on nommait, dans les années 1990, le big beat (souvenez-vous de The Prodigy, ou des Chemical Brothers); Bom Dia lance ses filets dans une zone temporelle similaire et recycle des restes de happy hardcore; Tohfa (qui accueille le phrasé du rappeur pakistanais Uzair Khan) n’est pas très éloigné de ce que produisait M.I.A. au début du millénaire (et qu’on qualifiait alors un peu abusivement de nu rave); le merveilleux Unstoppable adopte quant à lui la joie frigorifiée d’une new wave minimaliste. Les emprunts se perpétuent sur une majeure partie du disque.

On recueille le meilleur, même si on aurait pu craindre le pire. Et pourquoi donc les choses auraient-elles pu mal tourner? Parce que les risques inhérents à ce genre d’exercices d’admiration sont nombreux: Estelle Zamme aurait pu manquer de savoir technique et faire passer l’exercice du pastiche amoureux vers la parodie involontaire; Bel et Ledermann auraient pu céder au simple mimétisme, se laisser grignoter par l’obséquiosité, et produire quelque chose qui serait comme une musique à la photocopieuse.

Courant alternatif

Mais rien de tout cela ici. C’est un fait: le rétroviseur qu’Estelle Zamme tient dans ses quatre mains est à plusieurs faces et, s’il sert à reculer, c’est surtout pour mieux sauter. Autrement dit pour mieux expérimenter (c’est d’ailleurs ce que fait très ouvertement Etienne Bel sous un autre pseudonyme notoire: Pavel).

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Prenons ce fameux Unstoppable, peut-être le meilleur moment de l’album. Impossible de ne pas y entendre une citation (et un peu plus même) du Blue Monday de New Order: la ligne de basse en reprend le schéma, la partie vocale (assurée par le Lausannois Asher Varadi, de chez Ash The Ash) aussi, et elle va même jusqu’à faire sentir le grain de Bernard Sumner. Mais à partir de cet hommage inaugural, quelque chose d’autre se développe: le morceau se décante, assourdit ses marqueurs, puis les retrouve mais en les réagençant d’une manière totalement inédite par rapport à ce qui précédait – et qui, en l’occurrence, irait plutôt chercher du côté de The Sisters of Mercy.

La combinatoire du pilou

On est donc chez Estelle Zamme dans une esthétique du jeu, de la combinatoire, voire du bricolage dans son acception noble. Ce qui se retrouve d’ailleurs dans le propos du duo considéré dans son entier, lequel recrute à parts égales dans le son et l’image: les vidéos brindezingues qui accompagnent chaque sortie du duo (et pour lesquelles Julien Ledermann est à la manœuvre) sont en effet autant de rafales d’humour absurde. La dernière en date, qui accompagne A Vida é Super, titre inaugural de l’album, perpétue la recette foutraque: imagine-t-on le récit d’une rupture noyée dans l’alcool mais qui se transforme en histoire d’amour vache avec un dauphin en pilou? Non? Eh bien, Estelle Zamme l’a fait.


Estelle Zamme, «Golfinhos» (igroovemusic/Salut Zamme).