CHRONIQUE. Alors que la France sort d’une période où le gouvernement avait mis sa survie entre les mains de l’extrême droite, la balle est désormais dans le camp des sociaux-démocrates. Reste à savoir ce qu’ils en feront

Avant la censure du gouvernement Barnier, c’était Marine Le Pen et les siens qui fixaient leurs lignes rouges (parfois mouvantes) et définissaient les conditions dans lesquelles ils envisageaient de ne pas voter une défiance que la gauche entière promettait de valider quoi qu’il en soit, députés socialistes compris. Maintenant que les héritiers de François Mitterrand se sont montrés plus ouverts à la négociation, au risque de se mettre à dos l’aile la plus radicale de la gauche, ce sont désormais ces élus PS qui peuvent mettre en avant leurs priorités, les points sur lesquels ils comptent défendre les intérêts de leurs électeurs (et surtout de leurs potentiels futurs nouveaux électeurs). Ils sont en position de force.

La déclaration de politique générale de François Bayrou a été une première occasion d’observer cette nouvelle donne. En échange de promesses de pourparlers, notamment sur l’âge de départ à la retraite, le nouveau premier ministre centriste a obtenu la temporaire non-agression des socialistes. Mais la prochaine échéance, bien plus sensible, celle du vote du budget rejeté en fin d’année, sera beaucoup plus musclée. On commencera à en voir la couleur dès ce jeudi 30 janvier avec la reprise des travaux parlementaires sur ce sujet. C’est là que les socialistes peuvent véritablement commencer à lister des demandes concrètes et fermes tout en les mettant médiatiquement en avant, bien en vue des électeurs.

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Reculs sur les postes d’enseignants et le jour de travail gratuit

Au menu, entre autres multiples revendications: l’annulation des suppressions de postes dans l’Education nationale et un retour en arrière sur les baisses de remboursements de certaines prestations de santé, deux mesures d’économies prévues par le budget Barnier. Les socialistes exigent également davantage d’impôts pour les plus riches et l’abandon de l’idée de mettre en place sept heures de travail gratuit supplémentaires par an (qui remplacerait dans l’esprit du nouveau gouvernement l’idée de la suppression d’un jour férié). Le premier ministre a d’ores et déjà quasiment enterré cette dernière proposition de ses propres ministres lundi soir dans son interview sur LCI, tout comme il a d’ailleurs approuvé le maintien de 4000 postes d’enseignants.

Cette position de force du parti à la rose ne plaît naturellement pas aux incarnations d’une ligne plus dure, misant sur une opposition totale voire sur un chaos pouvant mener à une nouvelle élection présidentielle. Celui qui se verrait bien en candidat unique d’une gauche radicalisée, Jean-Luc Mélenchon, accuse ainsi les socialistes de «forfaiture» et qualifie François Hollande de «machine à tromper». L’ancien président socialiste a effectivement estimé que son parti constituait désormais «le pôle central au sein de l’Assemblée nationale puisque rien ne peut se faire sans eux ni contre eux». Hollande estime que le PS détient ainsi «la clé jusqu’en 2027» (date prévue pour la prochaine élection présidentielle).

Vers un PS qui reprend sa place républicaine

La radicalité dans ce paysage politique et médiatique ultra-polarisé a souvent été payante pour les oppositions jusqu’ici. Le pari de Jean-Luc Mélenchon et de ses Insoumis est que cela va continuer à l’être. En jouant le jeu du compromis, les socialistes prennent donc quant à eux le risque de perdre beaucoup de l’élan anti-macroniste qui semble être devenu quasi universel aujourd’hui (Emmanuel Macron a touché le fond ces derniers jours en termes de popularité avec 79% d’opinions défavorables selon les baromètres des instituts de sondage IFOP et Ipsos).

Mais au bout du compte, le fait que le PS a remplacé le RN dans le rôle d’arbitre qui met en avant ses priorités au cœur du débat peut être vu comme une évolution rassurante de la situation pour les défenseurs des valeurs dites «républicaines». Alors que la France sortait en fin d’année de plusieurs mois au cours desquels le gouvernement de centre droit avait mis sa survie entre les mains de l’extrême droite, la balle est désormais dans le camp des sociaux-démocrates. Reste à savoir ce qu’ils en feront, ce qui est bon pour eux et ce qui est bon pour la France. Et si leur manière de négocier peut aboutir sur un scénario qui soit à la fois bon pour eux et bon pour la France.

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