Le deuxième roman de l’écrivaine était très attendu après le succès de «Sa préférée». Il paraît le 10 janvier. Pari réussi pour la Valaisanne
Après le succès de Sa préférée, multiprimé, traduit en anglais, chinois, allemand, entre autres, avec aussi un film en préparation, le deuxième roman de Sarah Jollien-Fardel était évidemment attendu. Moment difficile pour tout auteur (comment ne pas décevoir?), le deuxième roman peut provoquer de véritables pannes d’écriture. Cela n’a pas été le cas pour Sarah Jollien-Fardel même si, comme elle l’a raconté dans plusieurs interviews, son deuxième roman a été recalé par son éditrice, Sabine Wespieser. Cette dernière racontait lors d’une soirée de présentation à Morges, en décembre, que ce manuscrit et la thématique abordée exigeaient selon elle plus de temps et d’expérience. Ce refus n’a pas découragé Sarah Jollien-Fardel: quelques mois plus tard, elle proposait à son éditrice La Longe, en librairie depuis le 10 janvier.
Et La Longe ne déçoit pas. L’écriture de Sarah Jollien-Fardel a gagné en concision et en régularité. Il y est de nouveau question d’une femme confrontée à la violence extrême, ici la mort d’un enfant. Avec un tel énoncé de départ, on redoute, comme lectrice, la prise en otage émotionnelle, l’attrape-cœurs facile et éprouvant. Ce n’est pas le cas. La matière vive du roman se situe dans les portraits: celui de Rose, la mère endeuillée, ostéopathe; du couple qu’elle forme avec Camil, architecte, Valaisan comme elle; celui des deux grands-mères de Rose, si dissemblables. Autant de piliers d’amour qui font grandir Rose et qui vont lui permettre de retrouver la lumière après le deuil, longtemps impossible.
Le retour à la vie de Rose est le moteur narratif et les paliers «comme en plongée» que le personnage atteint, un par un, pour avancer, scandent le texte. La longe du titre joue un rôle dans la sortie du gouffre et c’est là que réside le maillon faible du livre, la vraisemblance vacillant quelque peu. Mais la justesse des personnages, les scènes de l’enfance, la description des antagonismes familiaux, la présence de la nature, le rôle des livres et de la lecture dans la guérison emportent l’adhésion.
Rester, partir, revenir: telle est la question qui se pose sur plusieurs générations à la famille de Rose. Le grand-père a fait le choix des études d’ingénieur et de l’ascension sociale, quitter le village allait de soi. Son fils, en revanche, le père de Rose, malgré des études supérieures, opte pour le retour aux sources avec une vie de tenancier de café. Insoutenable pour le grand-père: «Bistrotier et manoillon, alors que t’es ingénieur, et dans ce trou, fermé, sans avenir. On t’a payé l’Ecole polytechnique – bang! poing sur la table –, tu t’en rends compte au moins? Tu fais le chemin à l’envers, bordel!»
Ce père, «bistrotier philosophe» qui «tenait à se débarrasser de ce que ses parents adulaient: réussir et le montrer», ce père, donc, élève Rose et son frère «dans la jubilation des éléments, dans la liberté d’une enfance où les rêves et l’intrépidité étaient ardemment encouragés.» C’est Eugénie, la grand-mère maternelle, qui a ouvert le café et qui partage maintenant le travail avec son beau-fils. Une tête Eugénie, un caractère, qui entend que son café soit «ouvert aux idées», avec des abonnements aux journaux d’au-delà de la région. L’autre grand-mère, toute au respect des codes bourgeois et de son mari, surprendra néanmoins Rose, devenue jeune fille, par des fêlures et une profondeur insoupçonnées.
«Comment vivre à côté de ceux qui ne connaissent pas les abysses?» Après la stridence de la mort d’Anna, leur fille, Rose s’effondre et se retrouve attachée. Sans divulguer ce qui l’a conduite là, nous mentionnerons l’importance des livres pour briser les chaînes de la dépression. Sarah Jollien-Fardel ose les situations dramatiques et celle-là fonctionne, l’apparition d’une mystérieuse lectrice qui, derrière une porte, lit Marguerite Duras et Charlotte Delbo. Oui, La Longe est au bout du compte un roman de guérison par l’amour. «Les minutes longues, les heures infinies. Le plafond, le volet, les jeux de soleil, la brise matinale, le vent du soir. Rien d’autre.» Cette concision-là est la meilleure immunité contre le trop-plein de bons sentiments, l’autre piège que La Longe évite.
Rencontres avec Sarah Jollien-Fardel, le 11 janvier à 16h à la librairie La Liseuse à Sion (rue des Vergers 14), le 16 janvier à 17h30 à la Librairie du Baobab à Martigny (av. de la Gare 42), le 18 janvier à 11h à la librairie Le Temps d’un Livre à Genève (rue Du-Roveray 13) et à 15h à la Fnac Lausanne (rue de Genève 6), ainsi que le 6 février dès 17h30 (dédicace suivie par une rencontre) à la librairie Page 2016 à Payerne (rue du Simplon 3).
Roman. Sarah Jollien-Fardel, «La Longe», Sabine Wespieser, 160 p.