La réception du kit olympique, ce trousseau qui comporte les tenues reçues par les délégations nationales pour les Jeux Olympiques, est souvent un grand moment dans la vie des athlètes. Célébrés ou moqués par les médias et le public, les uniformes vont avoir un impact non négligeable sur leur expérience olympique, des compétitions aux événements protocolaires que sont les cérémonies d’ouverture ou de remise des médailles. Quels sont les secrets derrière les uniformes des délégations olympiques? Comment les créateurs de mode parviennent-ils à allier tradition et modernité pour transformer les athlètes en véritables ambassadeurs de leur pays? Retour sur plus de cent ans de mode olympique

Le terme «kit olympique» fait référence aux uniformes spécialement conçus pour les participants olympiques. Ces tenues sont d’abord fonctionnelles, mais elles doivent en plus incarner l’identité nationale et susciter la fierté, en arborant souvent les couleurs, emblèmes ou symboles du pays. Les principaux aspects d’un kit olympique sont la fonctionnalité, le design et le symbolisme. En effet, les matériaux, coupes et détails des pièces du kit sont en général choisis pour leurs caractéristiques de confort et de performance, telles que la respirabilité, la flexibilité ou la compression. Toutes les tenues portées pendant les compétitions sont soumises aux règlements des fédérations sportives internationales tandis que certaines règles fixées par le Comité International Olympique (CIO) déterminent le nombre et la grandeur des logos et emblèmes apposés sur les vêtements. Par ailleurs, les uniformes sont conçus pour être à la fois élégants et pratiques, afin de permettre aux participants de montrer le meilleur d’eux-mêmes, quel que soit leur âge, leur sexe ou leur morphologie. Enfin, le kit sert de représentation visuelle de la nation, encourageant un sentiment d’unité et de patriotisme parmi les membres de l’équipe et les supporters. Certaines pièces existent d’ailleurs également comme produits dérivés que les fans peuvent se procurer.

Lors des premiers Jeux Olympiques à Athènes en 1896, pas de kit: les athlètes portent leurs propres tenues de sport ou les maillots de leur club. Pendant les cérémonies protocolaires, ils portent la tenue sportive ou un costume de ville, tout comme les officiels qui portent redingote, cravate et chapeau. Absentes des premiers Jeux de l’ère moderne, les compétitrices féminines ne seront guère confrontées à cette question de l’uniforme et elles resteront rares dans les équipes jusqu’en 1912. Néanmoins, le sport de compétition se trouve dans la nécessité de distinguer sur le terrain les coéquipiers des adversaires, les concurrents des arbitres, juges ou autres officiels chargés du bon déroulement des compétitions. Afin de pouvoir distinguer les différents acteurs et contrôler l’accès aux installations, les organisateurs développent un système de marques distinctives, qui prend d’abord la forme d’un insigne spécifique à chaque rôle. Par la suite, le design de ces insignes se complexifiera avec des codes couleurs selon les fonctions, les sports ou les sites, un concept qui sera repris trois décennies plus tard dans l’habillement du personnel des Jeux.

Début de l’uniformité: délégation égyptienne aux Jeux Olympiques de 1924 à Paris; l’officiel en costume sombre porte un badge de fonction — © 1924 / CIO 
Badges de fonction émis pour Paris 1924, 2019 / CIO / Peter Grégoire
Début de l’uniformité: délégation égyptienne aux Jeux Olympiques de 1924 à Paris; l’officiel en costume sombre porte un badge de fonction — © 1924 / CIO Badges de fonction émis pour Paris 1924, 2019 / CIO / Peter Grégoire

Dans la première partie du XXe siècle, des uniformes nationaux remplacent progressivement les tenues de sport lors des cérémonies. La parade des athlètes introduite à la cérémonie d’ouverture des Jeux de Londres en 1908 va influencer l’évolution du vestiaire olympique en suscitant une émulation entre les nations participantes. Le port de l’uniforme pour les personnels recrutés par les comités d’organisation se généralise aussi dans les années 1930.

Les Jeux comme podium

L’entre-deux-guerres correspond à une période charnière pour le mouvement olympique. En 1912, des délégations viennent déjà des cinq continents. Après la Première Guerre mondiale, les membres du CIO vont activement promouvoir l’olympisme au-delà des frontières de l’Europe et des Etats-Unis. L’internationalisation va progressivement attirer les médias du monde entier. Après la Seconde Guerre mondiale et dans un contexte de Guerre froide, les Jeux Olympiques sont un terrain de compétition médiatique où pays hôtes et nations participantes cherchent à montrer leur puissance et exercer leur influence. La télévision joue un rôle majeur dans le succès croissant des Jeux. La médiatisation est source de revenus. Les équipementiers voient dans les Jeux une occasion unique de visibilité. La garde-robe destinée aux participants se diversifie alors. Les délégations font désormais de plus en plus appel à des marques ou des couturiers capables d’incarner le style et le savoir-faire de la nation. Cette évolution est également rendue possible par un intérêt toujours plus prononcé des couturiers pour le sportswear, ainsi que par leur implication toujours plus grande dans le prêt-à-porter. Des couturiers comme Bonnie Cashin, Pierre Balmain, Ruben Torres ou Roy Halston s’essayent à cet exercice de style.

Vers la seconde moitié des années 1960, le port d’uniformes nationaux est parfois contesté à cause du nationalisme que ceux-ci incarnent. Certains comités font alors appel à des créateurs anticonformistes, capables de créer des tenues beaucoup plus décontractées, voire de développer des «anti-uniformes», selon le mot des organisateurs des Jeux de Montréal 1976. Cela correspond aux aspirations des jeunes athlètes et volontaires recrutés pour le bon fonctionnement des Jeux. Un article du New York Times de cette époque relève que les membres des délégations dont l’uniforme impose encore le port du blazer envient les sportifs de Porto Rico dont l’uniforme porté au Village olympique se compose d’une paire de jeans et d’une veste en denim. L’avis des athlètes compte de plus en plus, tout comme celui du public dont les attentes sont grandes. Des tendances fortes vont émerger dans les décennies suivantes. La mode olympique se nourrit toujours plus des collaborations artistiques entre équipementiers et marques. Les créateurs privilégient des pièces unisexes qui offrent la possibilité d’un mix and match, permettant ainsi à chacun de se singulariser tout en se sentant faire partie d’une équipe. Ils jouent sur une réinterprétation des couleurs et symboles nationaux afin de créer une connivence entre les membres d’une équipe et leurs fans. Les uniformes olympiques sont maintenant bien plus que de simples vêtements. Ceux qui les conçoivent doivent répondre aux exigences techniques, aux réglementations et aux contraintes budgétaires tout en capturant l’essence d’une nation. A travers leurs créations, ils contribuent à faire des Jeux oympiques une célébration mondiale de la diversité.


GALERIE

Violetta Ivanova et Yekaterina Aydova (KAZ) à la cérémonie d’ouverture de Beijing 2022

L’uniforme porté par Yekaterina Aydova, porte-drapeau du Kazakhstan, à la cérémonie d’ouverture des Jeux d’hiver de Beijing 2022. La styliste Violetta Ivanova l’a créé en associant des éléments de la culture kazakhe, tels que les broderies et la couleur, à un style et à des matériaux contemporains.

© IOC/Collections Musée Olympique
© IOC/Collections Musée Olympique

Jacques Esterel et l’équipe féminine française à Mexico en 1968

L’uniforme féminin de la délégation française aux Jeux de Mexico est réalisé par Jacques Esterel, qui s’est fait connaître du grand public en 1959 en dessinant la robe de mariée de Brigitte Bardot. Il crée pour les sportives tricolores un ensemble turquoise vibrant. Cette couleur est-elle choisie pour trancher avec les bleus sages arborés habituellement par l’équipe ou pour évoquer des bijoux mayas? Le couturier ne s’exprimera pas sur son choix.

© IOC/Collections Musée Olympique
© IOC/Collections Musée Olympique

Levi’s et l’équipe des Etats-Unis à Los Angeles en 1984

Pour ces Jeux en terre californienne, Levi’s habille le personnel des Jeux et l’équipe des Etats-Unis. La créatrice Ellen Duenow part des souhaits des athlètes: un équipement d’entretien facile, avec une fermeture éclair pour dégager ou couvrir la poitrine selon leur envie. Elle conçoit un survêtement bleu royal, une couleur choisie pour ressortir à la télévision. Elle y ajoute une bande blanche latérale pour bien marquer le geste d’un athlète levant un bras en signe de victoire.

© IOC/Collections Musée Olympique
© IOC/Collections Musée Olympique

Issey Miyake et la Lituanie à Barcelone en 1992

Aux Jeux de Barcelone, Issey Miyake développe un uniforme unisexe pour la délégation lituanienne. Afin de marquer les esprits et d’attirer l’attention des médias sur le petit Etat balte nouvellement indépendant, il imagine une tenue futuriste. La veste plissée comporte un col orné du drapeau national, pouvant se transformer en capuchon. Très investi, Issey Miyake travaille gratuitement et obtient la collaboration de Mizuno pour la production.

© IOC/Collections Musée Olympique
© IOC/Collections Musée Olympique

Eiko Ishioka et la délégation suisse à Salt Lake City en 2002

A la demande de la société Descente, la créatrice Eiko Ishioka met son talent au service de quatre délégations nationales lors des Jeux d’hiver de 2002. Elle conçoit pour l’équipe suisse une tenue en tissu Morphotex aux reflets changeants. La pièce maîtresse est sans conteste le long manteau de parade rendu célèbre par le double champion olympique Simon Ammann, surnommé «Harry Potter» par les médias à cause de ses lunettes et de ce manteau.

© IOC/Collections Musée Olympique
© IOC/Collections Musée Olympique

Stella McCartney et l’équipe britannique à Rio en 2016

En partenariat avec Adidas, Stella McCartney signe l’ensemble du kit de l’équipe britannique pour les Jeux de Londres 2012 et de Rio 2016. En 2012, elle a déconstruit l’Union Jack pour créer des pièces modernes et patriotiques. Pour Rio, elle opte pour un motif héraldique audacieux avec une combinaison de symboles des quatre nations constitutives du Royaume-Uni et une devise renforçant le sentiment d’appartenance à cette équipe.

© IOC/Collections Musée Olympique
© IOC/Collections Musée Olympique

Christian Louboutin et la délégation cubaine à Rio en 2016

Christian Louboutin s’associe à la marque Sporty Henri pour réaliser les uniformes de la délégation cubaine. Inspirés par la culture de l’île, ils créent des tenues élégantes, incluant des vestes inspirées des chemises Guayabera et des chaussures de sport aux semelles rouges. Ces uniformes, destinés aux athlètes seulement et non disponibles à la vente, sont un hommage rendu à l’énergie des Cubains.

© IOC/Collections Musée Olympique
© IOC/Collections Musée Olympique

DSquared2 et le Canada à Rio en 2016

En partenariat avec la Hudson’s Bay Company, Dean et Dan Caten transposent l’ADN de leur marque dans cette collection sportive qui évoque la simplicité des premiers uniformes olympiques. La veste rouge est un hybride entre un coupe-vent et un blazer. Le dos révèle le mot «Canada» et une feuille d’érable imprimés et se termine par une queue-de-pie avec un cordon de serrage élastique. Le haut over size est équilibré par un pantalon fuselé.

© IOC/Collections Musée Olympique
© IOC/Collections Musée Olympique

Nubu et la délégation hongroise aux Jeux de Tokyo 2020

Pour habiller les sportives et sportifs hongrois, les stylistes Judit Garam et Adél Kovacs ont souhaité associer le drapeau national hongrois à des éléments de la culture du pays hôte. La tenue de parade féminine est un kimono au tissu souple, orné d’une réinterprétation du drapeau tricolore national, esquissé à grands coups de pinceau dynamiques, qui rappellent les calligraphies asiatiques.

© IOC/Collections Musée Olympique
© IOC/Collections Musée Olympique

Telfar Clemens et l’équipe du Liberia aux Jeux de Paris 2024

La collaboration entre Telfar Clemens et le Liberia a commencé avec les Jeux de Tokyo 2020. C’est un sprinter qui a pensé à lui en apprenant la nationalité du styliste du sac fétiche de son amie. Pour 2024, Telfar Clemens dote l’équipe du Liberia d’une ligne de vêtements qui déconstruit la norme du genre. Le kit comprend des pièces déstructurées et une longue robe noire over size avec le mot «Liberia» fièrement imprimé sur un côté.

© IOC/Collections Musée Olympique
© IOC/Collections Musée Olympique


Podcast de Patricia Reymond, Manager des Collections, Fondation Olympique pour la Culture et le Patrimoine: