La Cour constitutionnelle, saisie par la présidente pro-occidentale, a décidé de maintenir inchangé le résultat des législatives d’octobre remportées par le parti au pouvoir du Rêve géorgien mais contestées par l’opposition. De quoi attiser la colère
La police en Géorgie a une nouvelle fois fait usage mardi soir d’un canon à eau et de gaz lacrymogène pour tenter de disperser les milliers de manifestants pro-UE qui protestaient pour la sixième nuit consécutive, malgré les menaces du premier ministre qui a accusé ses rivaux politiques et des ONG d’avoir «orchestré les violences».
Ce rassemblement se déroulait aussi après que la Cour constitutionnelle, saisie par la présidente pro-occidentale, a décidé de maintenir inchangé le résultat des législatives d’octobre remportées par le parti au pouvoir du Rêve géorgien mais contestées par l’opposition.
Les manifestations à Tbilissi, émaillées de violences, ont éclaté jeudi après l’annonce par le pouvoir du report à 2028 des ambitions de ce pays du Caucase d’intégrer l’Union européenne. Mardi soir, les protestataires étaient encore des milliers, mais légèrement moins nombreux que lors des jours précédents, lançant des feux d’artifice vers le parlement et la police et agitant des drapeaux de la Géorgie et de l’UE, ont constaté des journalistes de l’AFP.
Les policiers antiémeute ont répondu d’abord avec une lance à eau, notamment pour repousser des manifestants qui tentaient de d’escalader les murs du parlement, puis avec un canon à eau et du gaz lacrymogène lorsque la foule s’est déplacée vers une avenue à proximité. Le ministère de l’Intérieur a accusé dans un communiqué des manifestants d’avoir lancé sur les forces de l’ordre «divers types d’objets contondants, des engins pyrotechniques et des objets inflammables».
La présidente Salomé Zourabichvili, qui soutient le mouvement de protestation, a elle dénoncé sur X une utilisation «disproportionnée» de la force par la police, des «arrestations massives et mauvais traitements». Pour sa part, le commissaire aux droits humains, Levan Ioseliani, a accusé la police d'«actes de torture» contre les manifestants, après avoir rendu visite à des protestataires placés en détention et blessés. La plupart avait «de graves blessures» à la tête ou aux yeux, a déclaré ce défenseur public. «Les violences graves et délibérées infligées de façon punitive constituent un acte de torture», a-t-il déclaré. Levan Ioseliani a notamment évoqué le cas d’un étudiant de 21 ans dont l’état est «grave».
Quelques heures auparavant, le premier ministre Irakli Kobakhidzé avait accusé l’opposition et des ONG d’être à l’origine des affrontements avec la police et averti qu’ils «n’échapperont pas à leurs responsabilités». Son parti, qui assure ne pas renoncer à l’UE malgré l’annonce du report des négociations, a estimé que les Géorgiens mécontents l’avaient «mal compris» et que l’intégration européenne «progressait».
La veille, il avait rejeté toute négociation avec l’opposition, qui réclame de nouvelles législatives en dénonçant des fraudes lors du scrutin du 26 octobre, tout comme Bruxelles, ce que Irakli Kobakhidzé a qualifié de «chantage». Le Rêve géorgien tente aussi de présenter le mouvement de protestation comme le résultat d’une ingérence extérieure. «Personne ne nous paie, nous venons ici par notre volonté, de nous-mêmes», a affirmé auprès de l’AFP un manifestant, Nougo Chigvinadzé, logisticien de 41 ans, qui dit simplement vouloir «un meilleur avenir pour nos enfants». «Tout ce que dit notre gouvernement est un mensonge. Cela fait douze ans qu’ils nous mentent et ils continuent à le faire», a-t-il ajouté.
Mi-novembre, des groupes d’opposition et la présidente, en rupture avec le gouvernement mais aux pouvoirs limités, avaient déposé un recours devant la Cour constitutionnelle pour faire annuler les résultats du scrutin législatif d’octobre. La Cour, dans une décision publiée mardi, a refusé cette demande, en précisant que son verdict était final et sans appel.
Selon le ministère de l’Intérieur, 293 manifestants ont été interpellés depuis le début du mouvement et 143 policiers ont été blessés. Des manifestants et journalistes ont aussi été blessés ces derniers jours. L’opposition accuse le gouvernement de vouloir se rapprocher de Moscou, et d’imiter ses méthodes répressives et autoritaires.
«Dans toute la Géorgie, les gens se soulèvent contre le régime fantoche russe», a salué lundi soir la présidente Salomé Zourabichvili. Cette ancienne diplomate française a assuré la semaine dernière qu’elle refuserait de rendre son mandat comme prévu fin décembre et resterait à son poste jusqu’à ce que de nouvelles législatives soient organisées.
Si elle ne dispose que de pouvoirs très limités, Salomé Zourabichvili est populaire auprès des manifestants, dont le mouvement, largement spontané et organisé en ligne, n’a ni dirigeant politique dominant ni réelle structure. Tous les soirs, les policiers veulent ainsi chasser les protestataires de la place du parlement, épicentre de la mobilisation et des tensions.
Le Rêve géorgien assure vouloir éviter au pays le destin de l’Ukraine, envahie par les troupes russes depuis bientôt trois ans. Ses responsables accusent l’Occident de vouloir entraîner la Géorgie dans une guerre avec Moscou.
Le pays niché sur les rives de la mer Noire reste traumatisé par une brève guerre avec la Russie à l’été 2008. Moscou avait ensuite reconnu l’indépendance de deux régions séparatistes frontalières de son territoire, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, où elle maintient toujours une présence militaire.