OPINION. Entre le laisser-faire coupable et devenu impossible, et l’écologie, culpabilisante et parfois devenue repoussoir, il existe une 3e voie, celle de la durabilité, un nouveau contrat social qui pourrait marier environnement et emplois, écrit René Longet, expert en développement durable, ancien élu socialiste

On craignait l’écologie tristement K.-O. dans les cordes, et vacillant, au moment même où toutes les limites planétaires sont atteintes, sous la tornade populiste préférant conserver des modes de vie toxiques plutôt que les bases de la vie. En effet, depuis la révolte paysanne du début de l’année et les élections européennes, le Pacte vert de l’UE est méthodiquement détricoté, le dernier exemple étant le bras de fer autour de l’interdiction de la déforestation importée. Et l’écologie n’a aucunement été un sujet durant la campagne présidentielle américaine.

Mais voici que le peuple suisse crée la surprise en refusant six élargissements autoroutiers. Le rejet est fort aussi dans les campagnes, désavouant les pathétiques plaidoyers de l’USP invoquant les transports de lait pris dans les bouchons pour justifier le sacrifice de terres agricoles. Ce vote n’est-il pas justement l’illustration qu’il faut une conjonction de motifs pour l’emporter? En l’occurrence, le sentiment d’un travail de Sisyphe, d’une capitulation sans fin devant l’avalanche des véhicules, et la crainte de dépassements massifs propres à ce type de travaux. D’ailleurs, ce même 24 novembre, le rejet de la loi sur le climat en Valais s’est fait avec des scores semblables.

Et si pour avancer on redécouvrait la notion souvent invoquée, mais insuffisamment comprise et pratiquée, de durabilité? Soit l’affirmation des exigences scientifiquement établies du maintien des bases de la vie – et associée à des perspectives économiques et sociales positives?

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Exigence d’un travail décent dans un environnement équitable et durable

La grande force de la durabilité est que la dimension économique et sociale en est un élément constitutif; à son départ était le développement – c’est d’ailleurs ce que d’aucuns lui reprochent – soit le droit élémentaire de chaque être humain de trouver réponse à ses besoins de base. Encore aujourd’hui, entre le dixième et la moitié de l’humanité, selon les sujets, ne mange pas à sa faim, n’a pas de toit digne de ce nom, n’a pas accès aux soins de base, à l’éducation ou à une eau potable sûre. Certes essentiellement dans le «Sud global» mais aussi dans les pays dits développés: aux Etats-Unis, l’espérance de vie recule et dans l’Union européenne, un enfant sur quatre est menacé de pauvreté ou d’exclusion.

Parmi le socle social de la durabilité, on trouve l’exigence d’un travail décent, et dans l’action climatique, le principe de la responsabilité commune mais différenciée, à savoir que chacun doit contribuer à l’effort commun – à la hauteur de ses responsabilités. Initiatrice du concept, la Commission Brundtland avait relevé en 1987 que «même au sens le plus étroit du terme le développement soutenable présuppose un souci d’équité sociale entre les générations, souci qui doit s’étendre en toute logique à l’intérieur d’une même génération».

Côté économie,l’Agenda 2030 des Nations uniessouligne: «Nous engageons toutes les entreprises à appliquer leur créativité et leur volonté d’innovation à la solution des problèmes du développement durable. Nous veillerons à ce que le secteur des entreprises soit dynamique et fonctionnel, tout en protégeant les droits des travailleurs et en faisant observer les normes environnementales et sanitaires (§ 67).» Et une économie durable, donc capable de durer, est une économie qui s’insère dans les limites planétaires et dans une claire hiérarchie des besoins.

Pour un nouveau contrat social

N’y a-t-il pas là une réponse à la lassitude et à la désorientation de nos sociétés? L’amorce d’un nouveau contrat social? D’une sortie de crise autour du concept de triple rentabilité – à la fois écologique, économique et sociale de nos activités –, renouant, devant l’échec d’une mondialisation sans foi ni loi, avec cette économie écologique et sociale de marché décrite voici trente ans par Michel Albert dans Capitalisme contre capitalisme?

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Ainsi, c’est à tort que l’UE a nommé son programme écologique bienvenu Pacte vert – il est méthodiquement démantelé. C’est également à tort qu’elle priorise maintenant un Pacte de compétitivité: or c’est un Pacte de durabilité qu’il faudrait.

Redécouvrons la riche et féconde notion de durabilité, et quand nous parlons d’écologie, parlons en même temps d’entreprises et d’emplois. Et répétons qu’entre le «touche pas à la nature» des uns et le «la nature est taillable et corvéable à merci» des autres, la durabilité trace une juste voie du milieu.

La 3e édition de «Planète état d’urgence, la réponse de la durabilité» par René Longet est parue le 1er novembre, collection Le Savoir Suisse (207 pages).