REVUE DE PRESSE. La décision du président de gracier son fils, risquant la prison pour deux affaires distinctes, est extrêmement mal passée, à gauche comme à droite de l’échiquier politique. On ouvre la presse américaine pour décortiquer cette ultime tache dans l’héritage de Joe Biden à la tête du pays

Les Etats-Unis sont peut-être plus divisés que jamais mais le pays parvient, de temps à autre, à parler d’une seule et même voix. Au grand dam de Joe Biden ce début de semaine, cible de toutes les critiques. Le président a fait le choix de gracier son fils Hunter, lui permettant ainsi d’échapper à la justice et à une probable peine de prison. Ce dernier avait reconnu sa culpabilité dans une affaire de fraude fiscale et attendait de connaître sa sentence dans une affaire de détention illégale d’arme à feu pour laquelle il avait été condamné. Peine encourue? Jusqu’à 17 ans de prison ferme et des amendes pour plus d’un million de dollars. Insupportable pour le locataire de la Maison-Blanche, qui soutire ainsi des griffes de la justice un fils longtemps en proie aux addictions, et qui a aujourd’hui fait vœu de sobriété.

Le timing de cette annonce n’est pas anodin. Père et fils Biden ont célébré Thanksgiving le week-end dernier sur l’île de Nantucket au large du Massachusetts, une tradition familiale remontant à 1975. Il semble ainsi qu'«à un moment donné, autour d’une dinde et d’une purée de pommes de terre, le président Joe Biden a décidé de renoncer à des mois de réponse sans ambiguïté […] à la question répétée de savoir s’il avait l’intention de gracier son fils, Hunter, et de placer la liberté de son fils perturbé et contrevenant à la loi au-dessus de l’Etat de droit», écrit le Chicago Tribune. Une grâce présidentielle qui intervient comme un pied de nez à «ses défenseurs politiques, son attaché de presse et les nombreux commentateurs de MSNBC et de CNN qui avaient déblatéré sur la façon dont Joe Biden “vivait pour l’Etat de droit”», faisant passer cette cohorte de soutien «pour des idiots flagorneurs», enfonce le média de la Windy City.

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«Dire la vérité aux Américains», mon œil

Joe Biden est revenu sur sa parole. Joe Biden a menti. Joe Biden avait dit blanc alors qu’il pensait noir. Et ça ne passe pas outre-Atlantique. Dans son communiqué publié dimanche, le président persiste et signe affirmant avoir navigué durant sa carrière politique sous une seule bannière: «dire la vérité aux Américains». Sauf que plus personne n’est désormais dupe: «Lorsque cela a été politiquement important, […] Joe Biden a assuré au peuple américain, à plusieurs reprises, qu’il n’utiliserait pas le droit de grâce au nom de son fils. Lorsque les sceptiques ont tenté de trouver des échappatoires (commuerait-il la peine plutôt que de gracier), Joe Biden a insisté: Pas de grâce, pas de commutation. […] Tous ceux qui l’ont cru à l’époque ont l’air d’imbéciles aujourd’hui. Son incapacité à reconnaître ce revirement, et encore moins à l’expliquer ou à s’en excuser, ajoute l’insulte à la blessure», se désole le Washington Post.

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Certains, sans le pardonner, l’expliquent. Cette grâce in extremis est celle d’un père qui protège son fils. Mais à quel prix, peut-on se demander, avec un président qui finit d’immoler un héritage politique dont il ne restait déjà plus grand-chose. Un éditorialiste du Washington Post joue la carte de l’empathie, pas pour Joe le président mais Joe l’homme, celui qui a perdu sa première femme et sa fille dans un accident de voiture, puis son fils Beau d’un cancer du cerveau en 2015. Il fallait épargner Hunter de ce que le président considère comme une furie aveugle et politiquement motivée des Républicains: «Si mon fils était dans la situation de Hunter et que j’avais le pouvoir, d’un trait de plume, de le sauver et de lui donner un nouveau départ, je le ferais. Je pense que de nombreux pères seraient d’accord avec moi».

Mais ça ne suffira pas pour pardonner le «pardonneur». Le New York Times redouble de critiques à l’encontre de ce passe-droit antidémocratique: «il est touchant que le président ait invoqué ses sentiments en tant que «père» pour permettre à son fils de s’en sortir sur le plan juridique. Dommage que ce luxe ne soit pas offert à tant d’autres parents qui assistent, impuissants, à la violation de la loi par leurs enfants – et qui en paient les conséquences.» De toute manière, le magazine New Yorker rappelle à qui l’aurait oublié que «Biden n’est pas un homme ordinaire et, en graciant son fils, il perd une fois de plus de vue son objectif primordial: diminuer la capacité de Donald Trump à faire violence aux institutions démocratiques que Biden prétend avoir passé sa présidence à défendre».

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Après Joe Biden, le déluge

La tache imprimée par cette décision risque désormais de se répandre comme la gangrène pour son parti, et les critiques ne se sont pas fait attendre. Les démocrates vont devoir se reconstruire par-dessus cet ultime affront: le fait de ne même plus avoir la morale de leur côté: «Ils ont prédit qu’au cours de son prochain mandat, Trump abuserait du pouvoir de grâce. Ils sont prêts à l’attaquer pour cela. Mais comment peuvent-ils accuser Trump alors que Biden a abusé de son propre pouvoir? Joe Biden vient de rendre la vie beaucoup plus difficile à la résistance anti-Trump», estime le Washington Examiner.

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Après moi le déluge, estime peut-être Joe Biden, qui prendra enfin sa retraite le 21 janvier prochain. Sa famille politique, elle, se retrouve désormais avec une cible dans le dos et des adversaires qui ne sont pas faits prier pour commencer à canarder. Le très conservateur Examiner s’en donne ainsi à cœur joie pour spéculer à tout va: «Il est probable que la grâce accordée à Hunter ne sera pas la dernière. Si Hunter Biden a enfreint des lois fédérales depuis l’époque où son père était vice-président jusqu’à aujourd’hui, il est très probable que d’autres membres de sa famille l’ont fait également, en particulier son frère Jim, qui s’est aussi enrichi en exploitant le nom de la famille Biden».

Le New York Post juge quant à lui que cette grâce jette désormais l’opprobre tant sur une administration Biden qu’il juge déplorable que sur l’ensemble de ses soutiens, souillés d’avoir pris au mot un président qui ne fait pas grand cas de sa parole donnée: «Aujourd’hui, alors que le rideau se ferme sur l’échec de sa présidence et sur sa lamentable carrière politique, il y a une vérité trop crue pour être niée. Joe Biden a détruit non seulement son propre héritage, mais aussi celui de ceux qui se sont battus pour lui».

Le mal est fait

Le Philadelphia Inquirer s’inquiète désormais pour la suite, maintenant que le «camp de la morale» n’a plus vraiment de cartouche pour critiquer les républicains: «Les actions de Joe Biden seront utilisées par Donald Trump et ses partisans pour minimiser encore davantage la condamnation pénale du nouveau président et les multiples autres chefs d’accusation, ainsi que les grâces passées et futures accordées à des membres de sa famille et à ses amis. Bien qu’il n’y ait pas d’équivalence entre [cette décision] et les abus de pouvoir et les méfaits constitutionnels de Trump, les pêchés des autres n’absolvent pas les nôtres». Un adage auquel ne semble pas tout à fait souscrire le San Francisco Chronicle, qui s’entête à rappeler à quel point la trumposphère est pire dans un cas d’école de whataboutisme: «Je dirais qu’il a changé d’avis après avoir vu les résultats de cette élection et ce que Donald Trump est vraiment capable et a bien l’intention de faire. En ce qui concerne les mensonges, il y en a environ 30 000 documentés que Trump a racontés au cours de sa présidence».

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Un partout balle au centre? Pas vraiment. Avec l’administration Trump II qui débute tout prochainement, c’est tout le département de la Justice qui se retrouve un peu plus fragilisé, souligne le Washington Post: «Il risque d’aggraver les soupçons de nombreux Américains quant à l’existence d’un système judiciaire à deux vitesses, justifiant ainsi la volonté de Donald Trump de le remodeler – ou, parce que le retournement de situation est un jeu équitable, de l’utiliser au profit de son propre camp». Au final, après quatre ans de présidence plus que mouvementés et un héritage politique proche de la débâcle, peut-être que ce qu’il restera gravé dans le marbre comme testament de Joe Biden sont ces quelques mots tirés de son communiqué expliquant sa décision: «Voici la vérité: je crois en le système judiciaire, mais…». Les Américains risquent de se moquer de sa justification, le mal est fait.