Si l’on veut laisser tout ou partie de son patrimoine après son décès à une organisation caritative, comme le CICR, quelles sont les meilleures solutions? Réponses de Me Françoise Demierre Morand, notaire à Genève

Pour transmettre ses biens après son décès à une organisation humanitaire, on évoque souvent le legs ou l’institution d’héritier. Quelle est la différence?

Le legs constitue une créance vis-à-vis de la succession, sous forme d’un objet ou d’une somme fixe à recevoir, sans autre contrainte. En revanche, si l’on est institué héritier, on bénéficie de tous les droits, mais aussi des devoirs, qui sont associés à ce statut, et en particulier de l’obligation d’assumer les dettes de la succession si on l’accepte. Ce qui comporte un risque en cas de surendettement de la succession, qu’on qualifie alors de passive.

On entend parfois que les organisations de bienfaisance préfèrent les legs pour s’éviter des problèmes administratifs et le risque de succession passive. Est-ce la réalité?

Pas vraiment. Cela dépend notamment de l’importance des montants en jeu et du nombre d’héritiers. Pour des successions relativement modestes, le legs s’avère en principe plus approprié. Il évite à l’organisation humanitaire de devoir assumer les dettes de la succession. Lorsque les héritiers de la succession sont des proches, tels le conjoint, le partenaire et les enfants, et que le testateur souhaite laisser un montant fixe à une organisation de bienfaisance, le legs est également conseillé. Cela permet aux héritiers proches de prendre toutes les décisions concernant la succession, sans avoir à demander à l’organisation caritative d’y participer. Il faut rappeler ici que les décisions des héritiers nécessitent l’accord de tous, c’est-à-dire qu’elles doivent être prises à l’unanimité. Pour ces raisons, il est très rare que des personnes ayant une famille proche instituent héritière une organisation humanitaire. Ce choix peut être mal accepté par les autres héritiers, contrairement à un legs.

Mais le legs n’est pas toujours possible, car il faut au moins un héritier pour le délivrer au légataire. Prenons l’exemple d’une personne sans famille proche qui fait un legs en faveur du CICR portant sur l’ensemble de son patrimoine. A l’ouverture de la succession, si le testament ne prévoit pas d’héritier institué, il faudra lancer une recherche pour savoir qui sont les héritiers légaux. S’il s’agit d’héritiers éloignés et que la totalité des avoirs sont légués à l’organisation caritative, ces derniers n’auront aucun avantage à accepter la succession puisqu’ils ne sont pas héritiers réservataires et ne toucheront ainsi rien au bout du compte. Ils répudieront donc la succession. Dans ce cas, la succession sera liquidée par l’Office des faillites. En tant que légataire, le CICR devra alors se prévaloir de cette qualité et se porter créancier de la succession en faillite. S’il ne le faisait pas, il perdrait son legs. Ce n’est vraiment pas le système que l’on souhaite!

Pour des successions avec des avoirs plus importants, par exemple avec un bien immobilier, et en l’absence d’héritiers réservataires, le testateur devrait donc plutôt instituer héritières les œuvres caritatives à qui il veut transmettre ses biens après son décès. Pour ses bénéficiaires, cette qualité d’héritier présente l’avantage de conférer un pouvoir de décision dans la succession. C’est par exemple particulièrement utile quand il faut gérer la vente de biens immobiliers pour en tirer le meilleur parti.

Si elles sont instituées héritières, comment ces organisations peuvent-elles se protéger contre le risque de succession passive?

Quand je reçois un testament qui prévoit d’instituer une œuvre caritative héritière, la première chose que cette dernière me demandera sera de savoir si la succession est active ou passive. Mais le risque s’avère très limité s’il s’agit par exemple d’une dame qui est décédée à 85 ans, qui n’a pas eu d’activité, ou en tout cas pas depuis longtemps. Si la personne était encore active ou avait autrefois une activité indépendante, il faut en revanche se montrer plus prudent. On peut, dans ces situations, demander le bénéfice d’inventaire.

En général, j’essaie d’obtenir la déclaration d’impôt de la personne défunte, pour voir si elle avait des biens immobiliers, des comptes bancaires ou d’autres actifs. Quant aux dettes, pour des personnes suffisamment âgées, elles ne sont en principe pas hors de proportion. Mais il est vrai qu’il peut y avoir un risque pour des successions plus petites.

On sait que de nombreux testaments sont mal rédigés. Quels sont vos conseils pour éliminer tout risque de malentendus à l’ouverture de la succession?

Le testament est un document très important et qui ne prend effet que le jour où son auteur n’est plus là. Par définition, on ne pourra plus le corriger s’il comporte des passages à problème. Il est donc crucial de le montrer à un professionnel, qui en verra tout de suite les faiblesses. Il peut s’agir de contradictions dans les relations entre les personnes dans la succession. A l’intérieur du testament, une phrase peut par exemple créer un doute sur ce qui a été écrit plus haut dans le texte. Le mélange dans les termes utilisés constitue une autre source d’ambiguïté, tel l’usage du vocable «legs» alors que le testateur pense à «institution d’héritier». La confusion est entretenue par la terminologie utilisée en France où le légataire universel est en fait un héritier!

Il est donc crucial de montrer votre testament à un professionnel, qui en verra tout de suite les faiblesses

Ces rédactions maladroites sont tellement courantes que je n’accepte plus de conserver à l’étude des testaments fermés sous enveloppe que je n’ai pas pu voir avant le décès du testateur. J’ai eu en effet trop de surprises au début de ma carrière, avec de très grandes difficultés pour savoir comment les appliquer à l’ouverture de la succession. C’est pourquoi, pour les personnes qui viennent me consulter avec un projet de testament, je l’examine et leur propose souvent des corrections, même si elles ne sont pas fondamentales. Je vais par ailleurs leur demander des informations sur leur situation de famille et de fortune, avant de leur prodiguer des conseils. Et pour ceux ou celles qui n’ont pas de projet de testament, je leur propose un texte.

Parmi les recommandations que l’on peut encore formuler pour ceux qui veulent favoriser des œuvres humanitaires, c’est de ne pas en multiplier le nombre. Cela disperse en effet les fonds disponibles sur trop de bénéficiaires et alourdit le processus administratif de liquidation de la succession. Je conseille ainsi de n’en privilégier pas plus de trois ou quatre.

Que se passe-t-il lorsqu’il est trop tard pour corriger un testament confus?

Il faut essayer de convaincre toutes les personnes participant à la succession, héritiers et parfois légataires, sur le sens que l’on peut attribuer au testament. Si l’on y parvient, on leur fait signer un accord qu’on appelle «convention d’interprétation». En cas d’échec, la succession va être bloquée. Pour relancer le processus, il faudra alors recourir aux tribunaux.

Si l’intérêt de chacun est de trouver rapidement un accord, toutes les rancœurs et les choses qu’on n’a pas pu dire avant la succession vont ressortir à ce moment-là. Au point que les personnes peuvent tout d’un coup se braquer pour des choses infimes. D’où l’importance d’un testament bien écrit. Si c’est le cas, c’est une question qui ne se posera pas.

Qu’advient-il si les héritiers qui bénéficient de parts réservataires sont lésés dans le testament?

En droit suisse, on part du principe de la liberté des héritiers d’accepter ou de refuser la succession comme elle est prévue. Cela signifie que, même si le testament ne respecte pas les parts réservataires, il est appliqué si les héritiers réservataires ne le contestent pas. En revanche, si les héritiers lésés font montre de leur désaccord, on essaie de trouver une solution d’entente entre tout le monde. Et si on n’aboutit à aucun résultat, il faut que les héritiers lésés intentent une action en réduction devant le tribunal pour obtenir le respect de leur part réservataire.

Si des personnes veulent transmettre une partie de leurs biens de leur vivant, sous forme de donation, sont-elles libres de le faire sans contraintes?

Les personnes peuvent disposer à leur guise de leur patrimoine pour faire des donations à des tiers, notamment des organisations caritatives. Sous réserve qu’elles n’aient pas conclu un pacte successoral, auquel cas ces donations seraient contestées par les cosignataires qui pourraient se sentir lésés, selon la révision de la loi sur le droit des successions entrée en vigueur au 1er janvier 2023. Par ailleurs, si le donateur décède dans les cinq ans qui suivent la donation, ses héritiers pourraient intenter une action en réduction contre le donataire pour obtenir le respect de leurs parts réservataires. Ils pourraient recourir aux tribunaux si le donateur avait vraiment une intention d’éluder leurs réserves. Mais c’est très difficile à prouver.

Par ailleurs, les donations sont favorisées sur le plan fiscal: d’une part, elles permettent au donateur d’en déduire le montant de son revenu imposable, d’autre part, sa fortune, réduite par la donation, bénéficiera d’un moindre impôt sur la fortune.

Enfin, il faut rappeler qu’en cas de demande de prestations complémentaires à l’AVS, le requérant devra indiquer les donations qu’il a faites. Ces dernières seront considérées comme un appauvrissement volontaire et réduiront son droit à ces prestations.

Qu’est-ce que vous recommandez à des personnes qui voudraient laisser la totalité de leur patrimoine à leur décès comprenant des biens immobiliers à l’étranger?

Dans ce cas, la question se pose de savoir si de tels biens, qui vont en principe être imposés à l’étranger, bénéficieraient également de l’exonération fiscale en matière successorale en faveur de l’organisation humanitaire en Suisse. Ce qui n’est pas sûr. La solution la plus simple est de s’adresser directement à l’organisation de bienfaisance, surtout si elle est active sur le plan international, comme le CICR. C’est elle qui pourra indiquer à ces personnes la meilleure stratégie à suivre pour que les fonds qui lui sont destinés puissent lui parvenir avec le moins d’impôts possible.


Glossaire

Action en réduction
Action juridique qui consiste pour un héritier à demander une compensation au bénéficiaire d’une succession qui empiéterait sur sa part réservataire.

Bénéfice d’inventaire
Etat des actifs et des passifs de la succession, y compris les éventuelles dettes, par un appel au public pour trouver les créanciers.

Donation
Cession de son vivant de tout ou partie de ses biens sans contre-prestation correspondante.

Héritiers réservataires
Héritiers légaux qui bénéficient de parts réservataires.

Héritiers légaux
Héritiers que la loi a désignés par défaut en l’absence de testament ou de pacte successoral.

Légataire
Bénéficiaire d’un legs.

Parts réservataires
Parts minimales des héritiers légaux les plus proches du défunt, soit ses descendants et le conjoint survivant ou le partenaire enregistré.

Répudiation de succession
Renoncement volontaire à la participation à une succession.

Pacte successoral
Contrat entre une personne et ses futurs héritiers ou légataires, fixant les modalités du partage successoral.

Testateur
Personne qui rédige un testament.