Le dernier directeur général de Credit Suisse a essayé de vendre la banque d’investissement de l’établissement. Le projet, qui nécessitait des modifications réglementaires, a cependant été rejeté par la Finma

L’histoire commence par des débats intenses. Pendant trois mois, entre le 27 juillet et le 27 octobre 2022, Credit Suisse (CS) a mené des discussions difficiles avec le gendarme des marchés financiers (Finma). La vente de la division banque d’investissement, un projet de la direction en place pour essayer de donner un nouveau départ à la banque, était alors au cœur de ces échanges.

Retour en arrière. Début janvier 2022, Axel Lehmann succède à Antonio Horta-Osorio à la présidence et nomme fin juillet un nouveau directeur général en la personne d’Ulrich Körner. Ce dernier dirige l’Asset Management (gestion d’actifs) de Credit Suisse depuis 2021.

Le début des discussions entre Credit Suisse et la Finma remonte à fin juillet 2022, selon des sources proches du dossier. Et l’ensemble du conseil d’administration de Credit Suisse soutient le projet. La vente de la banque d’investissement aurait en effet permis de générer un revenu élevé, ce qui aurait rendu inutile la fatale augmentation de capital de l’automne 2022.

Les mains liées

Eté 2022: la direction de la banque aux deux voiles n’a plus les mains libres. Après une série de scandales et des pertes de plusieurs milliards, l’établissement est sous pression sur plusieurs fronts. Un des problèmes majeurs est la faiblesse du capital de la maison mère Credit Suisse AG. Les activités helvétiques ainsi que les deux filiales de Londres et New York, où se trouvait la majeure partie des activités de la banque d’investissement, dépendent de cette dernière.

Pour la vente de sa banque d’investissement, Credit Suisse a besoin du soutien du régulateur. Le démantèlement radical de cette division aurait tout d’abord entraîné une chute du capital de plusieurs milliards de francs au niveau de la maison mère. La cession aurait en effet fait disparaître d’un coup les revenus et la valorisation des filiales bancaires. D’un point de vue comptable, cela aurait provoqué d’énormes amortissements immédiats. Des estimations internes de la banque montrent qu’avec une telle procédure, le ratio du capital serait tombé à environ 9,6% alors que la réglementation exigeait 10%.

A l’époque, des banquiers de Credit Suisse sont persuadés qu’une baisse aussi prononcée allait occasionner une nouvelle perte de confiance sur le marché. Raison pour laquelle la banque a demandé l’aide de la Finma. Pour que cette vente des différentes activités soit réalisée, le régulateur devait autoriser d’évaluer les filiales bancaires non pas avec la méthode du cash-flow actualisé, mais avec celle dite «de la valeur nette d’inventaire (VNI)».

La première aurait intégré pleinement les dépréciations massives immédiatement après la cession. En revanche, le procédé VNI sollicité par Credit Suisse aurait permis une dévaluation progressive dans le temps. Le ratio du capital n’aurait pas été massivement sous-évalué et la banque aurait eu davantage de temps.

Ancien plan UBS

Pendant trois mois, la direction de Credit Suisse discute donc de ce plan avec la Finma. Mais l’autorité de surveillance ne cède pas aux demandes de l’établissement bancaire: la restructuration doit être réalisée dans le cadre des règles en place, dit le gendarme de la place financière.

La Finma s’étant montrée très critique à l’égard du plan Körner dès le début, la direction a élaboré en parallèle un plan B qui comprend une importante augmentation du capital. Celle-ci a été communiquée au public le 27 octobre et, comme on le sait, le marché a estimé que cette stratégie n’était pas suffisamment durable.

Pourquoi la Finma a-t-elle dit non au plan Körner en 2022? Après tout, le régulateur faisait pression depuis des années pour que l’on s’attaque enfin au démantèlement de la banque d’investissement. Et c’est précisément ce que la banque voulait faire. Par ailleurs, ce plan de sauvetage Körner ne sort pas de nulle part: il remonte dans ses grandes lignes à l’époque du premier mandat de Sergio Ermotti à la tête d’UBS.

A cette période, Ulrich Körner était alors membre de la direction du groupe UBS en tant que chef de la division Asset Management. UBS avait déjà envisagé une éventuelle reprise de son concurrent et élaboré les grandes lignes du plan que Credit Suisse a ensuite présenté à la Finma à l’été 2022, indiquent plusieurs personnes interrogées.

Auparavant, la Finma avait cependant fait preuve de plus de flexibilité lors du calcul du ratio du capital de la maison mère de Credit Suisse. La faible dotation en capital était depuis longtemps un des principaux sujets de discussion entre l’établissement bancaire et le régulateur. En 2017, la Finma avait accordé à la banque un délai de dix ans pour mettre en œuvre un renforcement des exigences en matière de fonds. De plus, en raison d’une modification réglementaire, la banque avait obtenu un allègement de l’évaluation de ses filiales sous la forme d’un «filtre comptable». Ces allègements étaient liés à des conditions strictes auxquelles l’ancien numéro deux devait se conformer dans les années à venir.

Coup d’éclat lors de l’évaluation

La situation change toutefois radicalement en 2022. Lorsque la banque aux deux voiles essuie des milliards de pertes à cause de Greensill et d’Archegos, en grande partie dans la banque d’investissement.

En outre, l’évaluation des filiales à l’étranger a donné lieu à de grandes divergences. A partir de 2020, la Finma a régulièrement proposé une entreprise tierce pour l’évaluation des filiales de Credit Suisse. Et la banque a dû revoir ses propres évaluations à la baisse à plusieurs reprises, affirment des sources. Mais en 2022, une nouvelle société tierce évalue les filiales étrangères: son analyse aboutit à un montant s’inscrivant à 12 milliards de francs de moins que celle de Credit Suisse. Une différence d’évaluation aussi énorme n’avait jamais existé auparavant. La tension entre les deux acteurs augmente.

En outre, la Finma n’a pas considéré la demande de Credit Suisse comme un allègement du capital, mais a argumenté que la nouvelle évaluation aurait entraîné un changement de régime. Cela aurait conduit à des valeurs nettement plus élevées et donc à davantage de fonds propres, sans que rien n’ait changé sur le plan de la substance économique. La Finma a rejeté cet argument.

Un directeur financier problématique

David Mathers, le chef des finances de Credit Suisse depuis de nombreuses années, a également été considéré comme une partie du problème. Son système comptable extrêmement complexe a permis pendant des années à la direction de la banque de présenter la situation financière de manière aussi avantageuse que possible à l’occasion de la publication des résultats trimestriels. C’est pourquoi il était en conflit permanent avec la Finma. Et sa participation aux négociations avec le régulateur n’aurait pas facilité les choses.

En outre, une nouvelle constellation est également apparue à la Finma. Le 12 décembre 2018, le Tribunal fédéral a estimé dans un arrêt que les affaires de grande portée ne devaient plus être décidées par la direction de l’organisation seule, mais par le conseil d’administration de la Finma. Par la suite, celle-ci a élaboré une définition plus étroite de ces opérations.

A partir de 2021, la direction a par ailleurs pu porter devant le conseil d’administration des thèmes dont elle estimait qu’ils pourraient bientôt devenir des affaires de grande envergure. Et Credit Suisse est entrée dans cette catégorie à partir de juin 2022. A chaque réunion de l’organe de surveillance, la direction informait la présidente et les autres membres de l’évolution du cas. Mais toutes les décisions continuaient à être prises par la direction.

Pour cet article, la NZZ am Sonntag s’est entretenue avec plus d’une demi-douzaine de personnes proches du dossier. Toutes préfèrent cependant rester anonymes, notamment en raison de la publication du rapport de la commission d’enquête parlementaire (CEP) portant sur Credit Suisse, attendu d’ici à la fin de l’année.