REVUE DE PRESSE. Jeudi, on célébrait l’une des fêtes les plus importantes de l’année outre-Atlantique. L’occasion d’ouvrir la presse américaine pour savoir ce qu’il s’est passé en ce 28 novembre, entre recettes, tempête de neige et blague potache de Trump sur X

Deux salles, deux ambiances, entre l’actuel locataire de la Maison-Blanche et son successeur en ce jour de l’Action de Grâce. Joe Biden a fait son traditionnel arrêt à Nantucket, une île au large du Massachussets, ancien haut lieu de la pêche à la baleine mentionné notamment dans Moby Dick. L’histoire d’amour entre le président et ce petit havre de paix battu par les vents de l’Atlantique remonte à 1975, un «acte diplomatique» en quelque sorte raconte-t-il dans son ode à Nantucket: «Les parents de ma première femme, décédée avec ma petite fille dans un accident de voiture quelques années plus tôt, voulaient que nous […] passions un long week-end avec eux. Quelle que soit la famille que nous choisissions, nous allions blesser quelqu’un. […] Mon chef de cabinet a suggéré l’île de Nantucket, située à une heure de ferry au sud de Cape Cod. Ni Jill ni moi n’y avions jamais mis les pieds, mais nous avons décidé de partir à l’aventure».

Tradition, famille, recueillement, donc, pour Joe Biden, qui déclarait jeudi: «Célébrons tout ce qui nous unit, car rien n’est au-dessus de nos capacités si nous le faisons ensemble».

Autre son de cloche chez Donald Trump, qui, dans une ironique volonté d’unité, a publié sur son réseau Truth Social: «Joyeux Thanksgiving à tous, y compris aux fous de la gauche radicale qui ont travaillé si dur pour détruire notre pays, mais qui ont lamentablement échoué». Le peuple américain a également eu droit à un montage vidéo de lui-même sortant d’une dinde coupée par Joe Biden, dansant sur Y.M.C.A des Village People. Ambiance.

Une fête entachée par le sang des indigènes

Voilà pour les déclarations de l’actuel et du futur président. Un petit éclairage s’impose toutefois sur ce qu’est en substance cette fête typiquement américaine (célébrée aussi au Canada mais pas à la même date, au Liberia et dans quelques pays caribéens), qui contrairement à certains événements comme Halloween ou au Black Friday, n’a pas encore pignon sur rue sous nos latitudes. Une histoire qui fait polémique, car le «premier Thanksgiving, telle que la plupart des Américains l’ont appris – les pèlerins et les Amérindiens se réunissant, autour d’un célèbre festin, la dinde – n’est pas tout à fait exacte», corrigeait en 2017 le New York Times.

Distribution de dinde après un match de NFL entre les Chicago Bears et les Detroit Lions, le 28 novembre 2024, à Detroit. — © IMAGO/David Reginek / IMAGO/Imagn Images
Distribution de dinde après un match de NFL entre les Chicago Bears et les Detroit Lions, le 28 novembre 2024, à Detroit. — © IMAGO/David Reginek / IMAGO/Imagn Images

Les dissidents du Mayflower, généreusement aidé et accueilli en 1620 par la tribu des Wampanoag? Pas vraiment, précise le média Axios: «Selon l’association à but non lucratif Partnership With Native Americans, la fête originale dura trois jours et les participants mangèrent de la volaille (mais la dinde n’est pas mentionnée dans les premières descriptions). Les Wampanoag ont plus participé à la fête parce qu’ils étaient préoccupés par les coups de feu que parce qu’ils avaient été invités. (Après tout, il s’agissait de leurs terres)». Le site Counter Punch en fait une lecture encore plus critique: «Soyons honnêtes. Chaque année, le dernier jeudi de novembre, nous célébrons le début d’une invasion européenne qui se termine par la mort, la dépossession des terres et le déplacement de millions d’autochtones. Alors que beaucoup (de chrétiens) ont tenté de redéfinir le sens de Thanksgiving en une période où nous cultivons un sentiment de gratitude, la vérité indéniable est que le sang des indigènes entache la genèse de la fête».

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Une astuce pour éviter les disputes? S’enfuir

Même en s’arrêtant sur les valeurs de gratitude et d’unité que cet événement est censé aujourd’hui représenter, les divisions qui lézardent le pays, surtout après l’élection présidentielle, font de ce repas en famille un potentiel moment de tension. Supporter l’oncle aux vues conservatrices? Faire le dos rond face au discours pro-Kamala Harris de sa belle-fille? Derrière le cliché, se cache un véritable dilemme outre-Atlantique, rapporte la chaîne NBC: «Dans les semaines qui ont suivi la victoire du président élu Donald Trump, un débat enflammé a resurgi sur la question de savoir s’il est juste de couper les liens avec des proches en raison de valeurs politiques opposées. Alors que certaines personnes ont déclaré qu’elles choisissaient de ne pas célébrer les prochaines fêtes avec des membres de leur famille qui ont voté pour Trump, d’autres déplorent de ne pas être invitées à des réunions de famille parce qu’elles l’ont soutenu».

Deux éléments aliments principaux du repas de Thanksgiving, de la dinde et de la sauce cranberry. Ici à Duxbury dans le Massachussets — © Charles Krupa / keystone-sda.ch
Deux éléments aliments principaux du repas de Thanksgiving, de la dinde et de la sauce cranberry. Ici à Duxbury dans le Massachussets — © Charles Krupa / keystone-sda.ch

Certains médias viennent même au secours de familles qui ont choisi de tous se retrouver autour de la dinde malgré des opinions divergentes. Ainsi, la radio NPR offre quelques conseils pour éviter de s’envoyer la sauce aux canneberges au visage à la moindre évocation de l’un ou l’autre ex-candidat: «Fixer des règles et des limites; changer de sujet; être curieux; faire des compromis; s’enfuir; élaborer des plans alternatifs». Moins drastique, le Washington Post offre une approche plus journalistique pour les membres de la famille démocrate, offrant de quoi répliquer avec des faits sur un vaste choix de questions liées au programme de Donald Trump, de ses taxes à l’importation à la mise en œuvre de la déportation des migrants illégaux. Ambiance, de nouveau…

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Neige et manifestants pro-palestiniens

Mais pour pouvoir s’engueuler autour d’une dinde, il faut encore pouvoir arriver jusqu’au lieu de rendez-vous. Un petit exploit si vous habitez dans le Maine ou le Vermont: «Les voyageurs déjà arrivés à destination ont de quoi être reconnaissants, car la tempête du jour de Thanksgiving déverse de la neige et de la pluie sur la côte Est, ce qui crée des problèmes de transport pour des milliers de personnes encore en route», précise la chaîne NBC, et ce alors que plus de 70 millions d’Américains ont pris leur voiture à travers tout le pays pour rejoindre leurs proches.

D’autres traditions ont également lieu en ce jour de l’Action de grâce comme le traditionnel cortège organisé par les magasins Macy’s à Manhattan, fêtant cette année son centenaire. Trois heures de défilé pendant lequel flottaient de gigantesques ballons à l’effigie de personnages de la pop-culture, de Luffy de One Piece à Ronald MacDonald. Parce que, définitivement, tout est politique en ce jour de Thanksgiving, l’événement a été brièvement interrompu par des manifestants pro-palestinien, une interruption en faveur de la paix qui fait écho à d’autres, rapporte le New York Times, alors qu’en 1989 déjà, «sept personnes [avaient] reçu des citations à comparaître pour trouble à l’ordre public après avoir brièvement participé à la Macy’s Thanksgiving Day Parade avec un ballon noir en forme de bombe sur lequel on pouvait lire: “Stop U.S. Bombing of El Salvador”».

La parade des magasins Macy's à New York, le 28 novembre 2024, organisée chaque année depuis 1924. — © Julia Demaree Nikhinson / keystone-sda.ch
La parade des magasins Macy's à New York, le 28 novembre 2024, organisée chaque année depuis 1924. — © Julia Demaree Nikhinson / keystone-sda.ch

Un sandwich à la confiture et au beurre de cacahouète pour Thanksgiving

Thanksgiving est également un immense raout culinaire dans les chaumières américaines. Outre la traditionnelle dinde, on dénombre une quantité faramineuse d’accompagnements, de la purée de pomme de terre à la sauce cranberry, en passant par les épinards à la crème ou au maïs. Pour certains journalistes culinaires, il s’agit même du Super Bowl, pour rester dans une comparaison tout américaine, écrit le New York Times: «Ce métier m’a appris que l’on peut glaner une grande partie de l’histoire excentrique de l’Amérique, enracinée dans les innovations des économistes domestiques, à partir de ces plats que beaucoup d’entre nous considèrent comme acquis d’une année sur l’autre. Les examiner de plus près peut nous aider non seulement à mieux les cuisiner, mais aussi à comprendre pourquoi nous les mangeons».

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Le menu n’est ainsi pas arrêté depuis plus de 400 ans mais a bel et bien varié au gré des siècles. Assez ironiquement, Bruce Smith, scientifique principal au Musée national d’histoire naturelle du Smithsonian, explique à la chaîne CBS que «la plupart des aliments consommés aujourd’hui à l’occasion de Thanksgiving sont originaires du Mexique et d’Amérique du Sud». Un festin aussi influencé par l’industrialisation du pays plus que par la tradition, peut-on lire sur le site de l’université technologique du Tennessee, qui précise que «bien que la tarte au potiron figure au menu depuis plus de cent ans, ce n’est qu’en 1929, lorsque la société Libby a commencé à produire une gamme de potiron en conserve, simplifiant ainsi le processus de fabrication de la tarte, qu’elle est devenue un aliment de base de Thanksgiving». Une douceur à laquelle n’aura pas accès P Diddy, qui croupit en prison pour ce jour de l’Action de grâce et dont le menu a été dévoilé par la presse: «des sandwichs au beurre de cacahuètes et à la confiture et des chips». Un plat tout ce qu’il y a de plus Américain, au moins.