REVUE DE PRESSE. La tablette fourrée à la pistache est la star des réseaux et des confiseurs, et se revend même à prix d’or sur Internet. Mais s’il s’agissait en fait d’une vaste opération de soft power de la part des Emirats arabes unis?

Une tablette tout ce qu’il y a de plus normal. Et au moment de la briser en deux, un dégueulis à la pistache verdâtre qui ferait s’évanouir un diabétique dans les 100 mètres à la ronde. Voici le chocolat Dubaï, qui a réussi à encapsuler le kitsch de la plus grande ville des Emirats arabes unis en une seule confiserie, avec la viralité qui va avec. La hype remonte à déjà plusieurs mois et la création de ce monstre de sucre est encore plus ancienne. Le magasin Fix Dessert Chocolatier les vend en effet depuis 2021, raconte Sarah Hamouda, la patronne égypto-britannique, au micro de CNN: «Il ne s’agit pas seulement d’une barre chocolatée. Nous voulons créer une expérience», annonce-t-elle dans le plus pur jargon entrepreneurial.

Et force est de constater que l’expérience a pris, sur les réseaux sociaux déjà, avec des vidéos de dégustation qui cumulent des millions de vues. Puis également en boutique, avec des confiseries que l’on s’arrache, parfois à des prix exorbitants. Déjà, la tablette originelle, appelée «Can’t Get Knafeh Of It» (le knafeh est une pâtisserie levantine réalisée à base de cheveux d’ange notamment) se vend à 25 dollars (18 actuellement, Black Friday oblige), mais uniquement à Dubaï. Alors les imitateurs s’organisent, chacun y allant de sa recette pour surfer sur cette trend sucrée. A Berlin, les clients se précipitent chez un confiseur qui propose sa version, sur Internet certaines tablettes se revendent déjà près de 100 francs, la chaîne de glace américain Baskin-Robbins propose cette saveur dans ses magasins, et «même une boulangerie polonaise de Hamtramck, dans le Michigan, vieille de 120 ans et connue pour ses beignets traditionnels appelés paczki, a sauté sur l’occasion», raconte la radio NPR.

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Vous pensiez que la Suisse et son savoir de la transformation des fèves cacaotières plus que centenaire étaient à l’abri de cette surenchère de calories? Que nenni. On en fabrique jusqu’à Glaris, où Elias Müller est «le premier à produire et à vendre le chocolat à la mode de Dubaï» dans le canton. Ses tablettes «partent comme des petits pains, il travaille désormais jusqu’à 15 heures par jour» et doit embaucher en urgence face à l’afflux de clients, raconte même le média Südostschweiz. Et, ô sacrilège, l’une des plus célèbres firmes suisses, Lindt, s’est également mise à confectionner la fameuse tablette fourrée. Avec toute la démesure qui lui est associée.

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Du chocolat plus cher que le wagyu

La réplique de la «Can’t Get Knafeh Of It» a d'abord été disponible en Allemagne, où certains becs à miel ont fait jusqu’à dix heures de queue pour mettre la main dessus. Prix du bijou? 14,95 francs, soit «un peu moins de 100 euros le kilo, […] autant que de la viande gastronomique – et cela ne se justifie pas», juge, outré, le média allemand Stern. Magnanime, Lindt propose une recette en vingt étapes à réaliser soi-même, et a fini par proposer 500 tablettes sur son site zurichois de Kilchberg il y a deux semaines. «Matteo est l’homme pour qui les médias craquent en cette folle matinée de novembre. La télévision SRF, 20 Minuten, Blick, Watson, le photographe d’une agence photo, […]: tous veulent lui parler», écrit à ce propos la NZZ. Matteo a-t-il remporté une médaille olympique? Non, il est simplement le premier «chocoholics» à pouvoir acheter une tablette de chez Lindt, après une nuit passée devant la boutique. Ou quand les confiseries supplantent les Apple Store.

Une réplique du chocolat de Dubaï confectionné par un confiseur berlinois, le 14 novembre 2024. — © TOBIAS SCHWARZ / AFP
Une réplique du chocolat de Dubaï confectionné par un confiseur berlinois, le 14 novembre 2024. — © TOBIAS SCHWARZ / AFP

Mais dès qu’il y a de gros sous à se faire, la polémique guette. Lindt semble empiéter sur les plates-bandes des importateurs du «vrai» chocolat de Dubaï, avec une douceur, sacrilège, qui ne provient pas de l’émirat! «En Allemagne, cela a déjà déclenché un grave conflit en matière de marques. L’importateur du produit original accuse des fabricants comme la chocolaterie suisse Lindt & Sprüngli d’avoir induit en erreur les consommateurs parce que leur chocolat de Dubaï ne provenait pas de Dubaï. Il a donc menacé de lancer des avertissements», résume ainsi le Blick alémanique. Sans parler des excès en tout genre... Un revendeur s’est fait pincer à la douane entre la Suisse et l’Allemagne avec «243 cartons contenant environ 45 kilogrammes de chocolat dit de Dubaï» non déclaré, devant ainsi s’acquitter de droit d’importation de 920 euros, rapporte la Basler Zeitung.

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Vous reprendrez bien un carré de soft power à la pistache?

Pour le moment, la douceur continue de s’arracher en boutique ou sur le Net. Outre la viralité du produit, le site de vente en ligne Galaxus en a profité pour tester la version qu’ils vendent sur leur plateforme, un succédané turc de la marque AntepGourmet vendu pour la somme ridicule de 32,90 francs les 200 grammes (164,50 francs le kilo!). Verdict: 2 étoiles sur 5, une «explosion de saveur [qui] n’est pas au rendez-vous» et une analyse géopolitique en prime: «le prince héritier et ministre de la Défense Hamdan bin Mohammed Al Maktoum a déjà annoncé une nouvelle variété exclusive chez Fix Dessert Chocolatier. Une manœuvre intelligente pour continuer à polir l’image sucrée de Dubaï. On n’en attendait pas moins d’un pays où les droits humains sont systématiquement bafoués, la liberté d’expression limitée et les ressources consommées sans modération». Un chocolat qui mérite définitivement sa note médiocre.

Une interminable queue devant une chocolaterie Lindt à Stuttgart, le 15 novembre 2024. — © THOMAS KIENZLE / AFP
Une interminable queue devant une chocolaterie Lindt à Stuttgart, le 15 novembre 2024. — © THOMAS KIENZLE / AFP

Au Stern aussi de s’insurger face à ce consumérisme de mauvais goût, considérant qu’il s’agit du «battage médiatique le plus stupide depuis l’invention du chocolat». Que les clients qui en raffolent aient les papilles d’un doberman covidé passe encore pour le média allemand, c’est le soutien indirect à une nation criminelle qui est la goutte de chocolat fondu qui fait déborder le moule à tablette: «Quiconque achète du chocolat de Dubaï n’est pas seulement une victime du marketing. Il ou elle célèbre également un produit présenté comme provenant de l’une des pires autocraties du monde. Là où la peine de mort pour l’homosexualité masculine est inscrite dans la loi, où les travailleurs migrants sont humiliés, emprisonnés et maltraités physiquement». Vous êtes prévenues, monarchies du Golfe, personne n’est dupe de votre soft power chocolatier.

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