REVUE DE PRESSE. Une victoire diplomatique pour Joe Biden, un pas en avant stratégique pour «Bibi» et un répit trop longtemps attendu par les civils: la presse internationale décortique les conséquences de cet accord de trêve qui vient tout juste de débuter

«Etape fondamentale», «nouvelle très encourageante», «rayon d’espoir»… La communauté internationale n’était pas avare d’optimisme suite à l’annonce d’un accord de cessez-le-feu entre le Hezbollah et Israël. La trêve a débuté mercredu à 3h du matin, heure suisse, et est censée permettre à l’armée libanaise, jouant jusqu’ici un rôle de second couteau, de se déployer dans le sud du pays et de contrôler que les combattants du Hezbollah se replient quant à eux au nord de la rivière Litani. A cela doit s’ajouter un contingent de forces armées internationales, comprenant notamment des caques bleus français, chargées de superviser l’arrêt des combats.

Réalisé sous l’égide de la France et de Washington, notamment via l’émissaire de la Maison-Blanche Amos Hochstein, cet accord, passé l’espoir suscité, est accueilli avec circonspection. Parmi les plus optimistes, le New York Times y voit avant tout un «triomphe pour Joe Biden et ses collaborateurs en politique étrangère», s'agissant de la preuve «qu’il est tout autant possible de faire la paix que la guerre au Moyen-Orient». Le Washington Post congratule à son tour le président américain, longtemps transparent et incapable de parvenir à la moindre désescalade dans la région: «Il s’agit d’un succès précieux pour la diplomatie de l’administration Biden après une année de tentatives infructueuses».

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Un grand gagnant à la victoire modeste

Autre son de cloche de la part du Wall Street Journal, pour qui le succès de ces négociations n’est pas le fruit de Washington mais bien du gouvernement israélien, qui a «obtenu ce que 11 mois de palabres de la part des émissaires de Biden n’ont pas pu obtenir: le Hezbollah a accepté d’abandonner le Hamas». Mais pour le moment, cette trêve n’en est qu’à ses balbutiements et la promesse d’arrêt des combats semble ne tenir qu’à un fil. Dans la nuit de mardi à mercredi, à quelques heures du début du cessez-le-feu, la situation n’avait rien d’une accalmie: l’Etat hébreu persistait à frapper Beyrouth et le Hezbollah tentait de pilonner des positions stratégiques israéliennes.

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A l’heure où les armes sont censées se taire en ce mercredi matin, le média libanais L’Orient-Le Jour tente déjà de compter les points dans un face-à-face aux nombreux arbitres internationaux. Gaza reste un problème pour le moment insoluble, mais Washington «remporte sans conteste le premier prix du concours en matière de réalisation […] [en finissant] par se faire entendre au Liban, même s’il avait soutenu avec enthousiasme la chasse au Hezbollah. Joe Biden peut donc se flatter de clore sa vacillante fin de carrière sur un notable succès diplomatique». Côté israélien, on a la victoire modeste, alors que la plupart des observateurs s’accordent à dire que le grand gagnant de cet accord est le gouvernement de Benyamin Netanyahou: «Israël, à son habitude, affecte de n’accepter qu’à contrecœur une issue qui pourtant répond largement à ses prétentions déclarées, et à leur tête le retour en toute sécurité à leurs maisons des habitants de la Galilée», poursuit L’Orient-Le Jour.

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Car le nerf de la (fin de la) guerre concernait justement cela: permettre aux habitants du nord d’Israël de rentrer chez eux. Une mission – pourtant centrale et déclarée comme «objectif national» – que Bibi ne semble pourtant n’avoir absolument pas envisagé concrètement. La situation n’étonne cependant pas le média israélien Haaretz, considérant que l’absence de plan pour reloger les habitants du nord dans leurs foyers a cela de remarquable qu’elle était totalement prévisible: «Nous ne devrions pas être choqués. En quoi cet échec devrait-il être différent de l’incapacité déjà démontrée du gouvernement Netanyahou à organiser, planifier et répondre aux besoins de ses citoyens?»

Une zone à entièrement réhabiliter

Haaretz rappelle que cette trêve n’est qu’un premier pas vers un objectif qui semble encore bien lointain. «Bibi» semble ainsi face à ses propres incohérences, car «si le but de la destruction du Hezbollah était de ramener les habitants du Nord chez eux et d’y ramener une vie normale, il aurait fallu consacrer ne serait-ce qu’une fraction d’attention et d’énergie à la tâche de réhabilitation [de cette zone]. Sinon, comment les places publiques, les centres commerciaux, les écoles et les jardins d’enfants qui ont été endommagés par les roquettes et les drones – ainsi que par leur utilisation comme zones de transit de l’armée israélienne – seront-ils reconstruits?»

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Un constat que partage le média Israel Hayom, considérant qu’une simple paix précaire ne suffit pas à offrir un retour décent aux Israéliens déplacés: «La réhabilitation régionale va au-delà des considérations sécuritaires: elle nécessite une action gouvernementale globale, notamment des investissements économiques substantiels et la résolution des déficiences chroniques en matière d’infrastructures, d’éducation, de soins de santé et de services sociaux».

«Recycler les cendres et en faire du béton»

Même d’un point de vue sécuritaire, la sérénité n’est pas au rendez-vous, témoigne le média Yediot Aharonot, alors que la mise en œuvre de cette trêve doit s’appuyer sur «des dirigeants qui connaissaient parfaitement les capacités du Hezbollah et qui n’ont rien fait, ainsi que [sur des] commandants de l’armée israélienne qui savaient tout du danger et de la facilité d’une éventuelle invasion de la Galilée et qui nous ont laissé vivre notre vie alors que seule une simple clôture faisait office de barrière pour nous défendre. [Ces mêmes dirigeants] nous demandent aujourd’hui de leur faire confiance».

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Pour différentes raisons, Israéliens et Libanais semblent sceptiques quant à cette trêve. Les deux parties au conflit doivent désormais montrer qu’elles peuvent être dignes de la confiance des populations civiles. Du côté du Pays du Cèdre, L’Orient-Le Jour estime que «plus que jamais le Hezbollah se trouve sommé par les événements de se prouver plus libanais que persan; il nous le doit à tous et pas seulement à la communauté chiite, particulièrement éprouvée par ses paris foireux et pratiquement laissée à l’abandon». Alors que le bruit des armes résonne encore au-dessus des ruines, le plus dur reste donc à faire: commencer à bâtir sur les fondations que pose cette paix précaire car «tous ces morts ne doivent pas être tombés pour rien. Toutes ces cendres laissées par les incendiaires, il faut d’urgence les recycler, en faire du béton», conclut le média libanais.