La justice hongkongaise applique désormais la loi dictée par Pékin. Elle a condamné lourdement cette semaine 45 figures du mouvement démocratique dans une mise en scène qui rappelle les heures les plus sombres du régime
Hongkong n’a rien perdu de sa superbe, au soleil couchant, lorsque ses gratte-ciel s’illuminent comme une forêt de sapins de Noël, enlaçant l’une des plus belles baies du monde. Les touristes encombrent la ville-shopping, les boutiques de luxe essaiment comme des champignons, les navires marchands embouteillent le port et les échafaudages de bambous donnent le vertige.
En apparence, Hongkong est inchangée. En y regardant de plus près, pourtant, de nombreux magasins ont les stores baissés, des chantiers sont à l’arrêt, des malls sont vides et les touristes sont désormais majoritairement chinois. Mais surtout, entre les publicités lumineuses, les affiches de propagande du Parti communiste sont omniprésentes. C’est dans ce décor de fausses apparences que les magistrats de Hongkong ont rendu la justice de Pékin au terme du plus grand procès visant les démocrates de l’ex-colonie.
Les juges ont prononcé leur verdict mardi: tous coupables. Les 45 prévenus, convaincus de «conspiration» et d’atteinte à la sécurité de l’Etat, ont été condamnés à des peines de 4 à 10 ans de prison au nom de la nouvelle loi sur la sécurité nationale. Celle-ci avait été imposée par Pékin comme addendum à la mini-Constitution de Hongkong en juin 2020. Ce texte criminalise toute critique des partis pro-Pékin au nom de la stabilité. Rédigé en des termes vagues, il permet de condamner tout acte jugé contraire aux intérêts de la Chine. Hongkong bascule à son tour dans l’arbitraire. C’est la fin de la stabilité juridique, la fin du principe «un pays, deux systèmes», pourtant acté dans des traités pour une durée de cinquante ans lors de la rétrocession de 1997.
De quel crime, concrètement, parle-t-on? Un mois après le vote de cette loi, en juillet 2020, le camp démocrate avait organisé des primaires afin de partir au combat uni en vue d’élections législatives. C’était inhabituel. Selon les juges, leur but était de «renverser le système politique en place», de «plonger la ville dans une crise constitutionnelle». En réalité, les autorités ont soudain craint le verdict des urnes. Quelques mois plus tôt, des élections locales s’étaient en effet transformées en vote sanction: trois quarts des électeurs avaient soutenu les démocrates. Du jamais vu. Ce fut un choc aussi bien pour le gouvernement de Hongkong que pour Pékin. Cela ne devait plus se répéter.
Des centaines de personnes se sont rendues au tribunal, familles, proches, sympathisants, curieux. Le verdict a été rendu en quelques minutes, sans lecture des considérants. Des mères ont fondu en larmes. La sentence a été accueillie par un immense sentiment d’impuissance. Cette même impuissance qui entoure tous les tribunaux de Chine où les commissaires politiques continuent, en dernier ressort, de dicter la loi en fonction des besoins du parti unique.
Le jugement des 45 de Hongkong – c’est-à-dire des principales figures démocrates n’ayant pas fui le territoire – peut être considéré comme le principal procès politique de la République populaire de Chine depuis celui de la Bande des Quatre. En 1980, ce procès-là – dont la figure de proue était Jiang Qing, la femme de Mao – mettait en scène le verdict désavouant la Révolution culturelle tout en niant la responsabilité du Parti communiste. Il y eut quelques condamnations à mort, toutes avec sursis (Mme Mao se suicida en prison). Le «gauchisme» était expurgé de l’Histoire chinoise.
Benny Tai, tenu pour le cerveau de ces primaires, a écopé de la plus forte sentence: 15 ans de prison. Le professeur de droit de l’Université de Hongkong a bénéficié d’une remise de peine de 5 ans pour avoir plaidé coupable. Tiffany Yuen, une ex-conseillère de district, a été condamnée à 4 ans et 3 mois. Au tribunal, elle portait un t-shirt du club de football de Liverpool dont la devise est «Tu ne marcheras jamais seul». La longue marche des démocrates chinois vers la liberté n’en a pas moins atteint de nouveaux tréfonds. Pour combien de temps encore?