Dessinateur des Unes du «Temps» depuis sa création en 1998, Patrick Chappatte présente sur les scènes romandes un spectacle dans lequel il rend hommage à l’essentialité de son métier

Tout journaliste du Temps qui a un jour ou l’autre accueilli des lecteurs et lectrices dans les locaux de la rédaction aura inévitablement dû répondre à cette question: «Il est là, Chappatte?» Car oui, il faut bien se résoudre à admettre qu’un dessin de presse possède une immédiateté et une efficacité éditoriale avec laquelle aucun article, aussi fouillé et érudit soit-il, ne peut rivaliser. Mais encore faut-il que celui ou celle qui manie le crayon ait une vision du monde et un propos, et surtout sache faire mouche en quelques traits et deux ou trois phylactères. Et là aussi, il faut bien avouer que Chappatte, Patrick de son prénom, a un talent immense, qu’il maîtrise parfaitement cet art périlleux consistant à faire rire et réfléchir en un seul dessin.

Si vous avez peu de chances de croiser le Genevois dans les locaux du Temps, il est possible depuis le début de l’année de le voir… sur scène. Et là, sur les planches, il vous dit tout des coulisses de son métier, qui est le plus vieux du monde, affirme-t-il d’emblée («vous pensiez à un autre?») en affichant sur un écran géant un dessin montrant un Néandertalien gravant des inscriptions sur la paroi d’une grotte, au grand dam de sa compagne, qui trouve pénible de vivre avec un artiste…

De Dr Chappatte à «Chappatte tout court»

Son talent, Chappatte le met au service du Temps depuis son premier numéro, publié le 18 mars 1998, mais aussi de titres suisses comme la NZZ am Sonntag et internationaux comme Le Canard Enchaîné, Der Spiegel ou la nouvelle Tribune Dimanche. Sur scène, au cours d’un spectacle créé fin janvier dans l’intimité de Boulimie, à Lausanne, et qu’il reprend cette fin d’année pour une dernière série de dates (en en attendant de probables supplémentaires en 2025), le dessinateur de presse parle de son métier, mais aussi de lui.

Lire aussi: A Genève, Chappatte et les dessinateurs de presse face à la liberté d'expression

Jeudi soir au Théâtre de l’Octogone, à Pully, le voici qui arrive les épaules légèrement voûtées, à la fois assuré et timide, comme un élève fier d’avoir été appelé devant le tableau noir mais qui en même temps apprécie qu’on le laisse tranquille. Il nous dit qu’il était ce gamin, il y en a un par classe, qui noircissait les pages blanches de ses cahiers de dessins et esquisses de bandes dessinées plutôt que d’écouter les profs. Sa mère le rêvait médecin, mais plutôt que Dr Chappatte, il est devenu «Chappatte tout court».

Il rend hommage, entre deux caricatures projetées, à ses parents – ce père jurassien tombé amoureux d’une Libanaise –, évoque sa naissance au Pakistan, et c’est passionnant de l’écouter parler de lui pour toujours ramener son parcours aux grands thèmes qui traversent ses dessins – la Suissitude, la migration, la montée des nationalismes, etc. Un rédacteur en chef lui a dit jadis qu’il faisait des «petits Mickey», mais aujourd’hui il dessine le gros Donald, bientôt de retour à La Maison-Blanche.

Hommage aux pionniers Honoré Daumier et Charles Philipon

Parfois assis à une table, Chappatte montre à partir d’un iPad connecté comment il travaille lorsqu’il définit l’actualité qui fera l’objet d’un dessin. En guise d’exemple, il choisit cette intelligence artificielle qui, depuis deux ans, bouleverse nos vies. Il dessine en direct quatre croquis préparatoires, fait voter le public en mode Landsgemeinde et explique que ça se passe comme cela au Temps: il envoie des idées, des collègues lui indiquent leur dessin préféré… et ensuite, c’est lui qui décide!

Lire aussi: Patrick Chappatte: «Mon père était horloger, il m’a donné le goût du large et du bel ouvrage»

Il évoque les sensibilités et susceptibilités de plus en plus exacerbées, se compare à un funambule évoluant sur un fil toujours prêt à rompre, dénonce l’autocensure préventive du New York Times, avec lequel il collaborait, et qui en 2019 décidait suite à une polémique de renoncer aux dessins de presse. En une septantaine de minutes, il rend aussi hommage aux pionniers Honoré Daumier et Charles Philipon, nous montre ses œuvres de gosse, évoque un confrère japonais trouvant ses idées après sa sieste journalière… Tout en s’épanchant (un peu) sur lui et (beaucoup) sur son travail, c’est surtout de l’essentialité de la liberté d’expression qu’il parle. Il y a quelque chose de noble et généreux dans la manière qu’a Chappatte de nous inviter le temps d’un spectacle dans son quotidien.


«Chappatte en scène», Théâtre de l’Octogone, Pully, les 23 et 24 nov.; Théâtre du Crochetan, Monthey, les 27 et 28 nov. (complet le 27); Les Culturailes, Châtel-Saint-Denis, le 30 nov. (complet); Théâtre du Jura, Delémont, les 12 et 13 déc. (complet les deux soirs); Bicubic, Romont, le 14 déc.; BFM, Genève, les 18 et 19 déc.; Théâtre du Passage, Neuchâtel, les 25 et 26 jan. 2025.