Le géant genevois de la certification détecte des polluants dans les eaux et les sols depuis un site aux Pays-Bas. Un marché porteur et exemplaire pour la nouvelle directrice du groupe. Elle affirme que SGS, cette «belle au bois dormant», s’est réveillée
Hoogvliet, dans une banlieue industrielle de Rotterdam. C’est jour de fête, ce 19 novembre 2024, dans un laboratoire de SGS spécialisé dans la détection des polluants dans les eaux et les sols. La multinationale suisse de l’inspection et de la certification a invité une soixantaine d’investisseurs, d’analystes et une poignée de journalistes, dont Le Temps, pour montrer son savoir-faire. Le «testing» des polluants – le mot du jargon – est une industrie en plein boom.
Un pan économique en devenir à l’heure où l’on prend conscience du degré de contamination de certains sites et de l’omniprésence des PFAS, lesdits polluants éternels, dans notre quotidien. On est ici dans l’équivalent du diagnostic médical, mais pour l’environnement et l’industrie.
Les machines blanches, les pipettes, les tubes en verre et les blouses blanches du laboratoire néerlandais évoquent d’ailleurs les départements d’analyses des grands hôpitaux. Les échantillons, qui arrivent par milliers, 24h/24 même le dimanche, sont issus de sites à travers l’Europe. Envoyés par des clients – des constructeurs aux industriels en passant par des gouvernements – qui veulent connaître l’état d’un environnement, d’emplacements d’anciennes usines, de cartons à pizza, crèmes solaires, poêles ou autres places de jeu. De plus en plus, on cherche à savoir. Le canton de Genève, où siège SGS, va par exemple compléter son cadastre en y incluant les PFAS.
«Nous décelons 70 PFAS différents», se félicite une chimiste de SGS à Hoogvliet. Contre une trentaine il y a quelques années. Des machines automatisées, des robots et des écrans permettent à son équipe de traiter un nombre croissant d’échantillons et de détecter une variété toujours plus grande de substances. La marge de progression est importante: des PFAS, il y en aurait des milliers.
Les régulations liées à ces produits chimiques potentiellement dangereux varient selon les pays. Mais elles arrivent et, plus il y en aura, mieux ce sera pour les géants de l’inspection. SGS les anticipe pour être prêt et parce que ses clients n’attendent pas non plus. Le marché est énorme, alors que près de 30% de l’eau potable aux Etats-Unis serait contaminée par des PFAS, selon une étude citée par l’entreprise. SGS augmente ses capacités, à Hoogvliet ou outre-Atlantique, et a signé plusieurs gros contrats au premier semestre dans ce cadre.
Etre agile pour capter de la croissance: tel est le credo de Géraldine Picaud, la nouvelle directrice générale. La Française est en fonction depuis le début de l’année à peine mais elle a déjà chamboulé la culture de cette entreprise plus que centenaire – SGS a vu le jour en 1878 à Rouen, dans le contrôle de céréales importées des pays de l’Est.
Sa «stratégie 2027», présentée à son arrivée, vise à réveiller cette «belle au bois dormant» – les mots d’un porte-parole – qu’est SGS pour mieux exploiter son potentiel de croissance, considéré comme formidable. Elle comporte un plan d’économie de 100 millions de francs, la suppression de 2000 postes et une stratégie d’acquisitions agressive. La multinationale a acheté dix entreprises cette année – une par mois, le rythme désormais. La dernière emplette, annoncée cette semaine, porte sur une firme spécialisée dans l’inspection de centrales nucléaires en Amérique du Nord.
La nouvelle SGS doit aussi être plus ouverte, notamment aux médias. Elle a beau avoir près de 150 ans, c’est aussi une belle inconnue. Quasi aucun portrait dans la presse suisse, où le groupe a pourtant déménagé son siège en 1915. Ni dans les médias anglo-saxons. Du laboratoire de Hoogvliet, aucune trace non plus, sinon un bref article dans Algemeen Dagblad, un quotidien local, à la suite d’une grève en 2017.
La visite du 19 novembre est un signe supplémentaire du vent nouveau porté par la directrice générale. Le début d’une présentation de laboratoires – le géant en possède plus de 1500 à travers le globe. D’un regard porté vers l’avenir, d’une énergie et d’un nouveau slogan, omniprésent de Genève à Hoogvliet: «When you need to be sure». SGS vend une certitude. La confiance doit être son identité.
«SGS a changé», a affirmé Géraldine Picaud, lors d’un déjeuner avec la presse avant la visite. «Nous sommes à pleine vitesse. Il faut délivrer des résultats.» Le groupe vise une croissance organique de 5 à 7% de son chiffre d’affaires.
Dans cette industrie globale, fragmentée et «appelée à se consolider», selon sa directrice, le groupe veut gagner des parts de marché. Dans les polluants, dans l’économie circulaire, la cybersécurité, les TIC, l’IA, les véhicules électriques, les énergies fossiles renouvelables.
Le marché de l’inspection est évalué à 200 milliards de francs – or les ventes de sa principale entreprise, SGS, n’ont pas dépassé les 6,6 milliards en 2023. Le groupe, qui recense 99 240 employés (dont 400 en Suisse) dans 119 pays, domine aux côtés du français Bureau Veritas, devant le britannique Intertek ou le chinois HQTS. A titre de comparaison, le genevois MSC accapare un bon cinquième du marché dans le transport maritime de conteneurs (omniprésents sur l’autoroute qui longe Hoogvliet, le port de Rotterdam étant le plus grand d’Europe).
Rien ne semble arrêter la nouvelle SGS, même pas l’élection d’un président américain réputé pour détester les régulations et ne pas croire au changement climatique. «Avec ou sans Trump, we need to be sure», balaie Géraldine Picaud. En Amérique du Nord, la multinationale veut doubler son chiffre d’affaires d’ici à 2027.
Au troisième trimestre, elle a rapporté une croissance de 7,3% de ses ventes. Le 20 novembre, SGS a dit être en phase avec ses objectifs et affirmé que son plan d’économies se mettait en place plus vite que prévu. Depuis janvier, son titre à la bourse suisse a grimpé de près de 20%.
«J’ai choisi de faire visiter le laboratoire d’Hoogvliet car il est facile d’accès et je voulais qu’un maximum de personnes viennent», indique Géraldine Picaud. «Mais aussi parce que nous avons beaucoup investi dedans», ajoute-t-elle en citant l’exemple des muffins, ces gâteries omniprésentes contaminées aux PFAS par leurs emballages.
«Avec Géraldine Picaud, SGS a simplifié sa structure, gagné en dynamisme et en agilité dans la prise de décision. C’est d’autant plus important pour une telle entreprise que le marché est très fragmenté et qu’il faut pouvoir agir vite», estime Michael Foeth, analyste chez Vontobel. «Là où SGS peut faire la différence, c’est dans l’efficacité des processus. A Hoogvliet par exemple, ils sont techniquement rodés et l’automatisation rend l’inspection fiable et efficace. Cela ajoute de la valeur pour le client.»
Dans une note, la Banque cantonale de Zurich relève que le fait que SGS soit en passe de réaliser ses objectifs financiers «parle en sa faveur». Tandis que JP Morgan se demande à quel point les mesures d’économies se mettent en place plus vite que prévu.
La cure de minceur de SGS pourrait d’ailleurs avoir des conséquences à Genève, le siège du groupe coûtant cher. Un déménagement, au sein du canton ou non (le siège se trouve à la place des Alpes, au centre-ville), n’est pas écarté. Le sujet figure parmi les rares sur lesquels la directrice ne commente pas «car rien n’est décidé à ce stade».
Il y a aussi une épine: l’affaire Thomas K., un ex-cadre de la multinationale qui a porté plainte contre elle car il aurait été licencié de façon abusive après avoir alerté l’ancienne direction sur des pratiques qu’il estime corruptrices chez SGS. L’instruction aux Prud’hommes à Genève a démarré en 2021 avant d’être bloquée par une question de huis clos. Les audiences ont repris cet automne.
Pas de quoi entraver le développement à Hoogvliet, où SGS emploie 350 personnes et où il n’y a pas que les PFAS. Des tests sont aussi effectués sur du vieil asphalte, pour déterminer s’il peut être réutilisé. Des chimistes décèlent la présence d’éventuels pesticides, notamment les plus anciens, interdits de longue date mais qui peuvent encore polluer les sols. On cherche des huiles minérales, des métaux lourds, des PCB. Les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) sont également scrutés depuis qu’ils ont été ajoutés sur la liste des polluants prioritaires de nombreux pays.
Parmi les clients du laboratoire, on peut citer les organisateurs des Jeux olympiques de Paris, qui ont dû décontaminer le site sur lequel a été érigée la piscine des plus grands succès de Léon Marchand et de Roman Mityukov. «Nous aussi d’ailleurs, nous visons l’or et les records», a affirmé Marie Portier, la responsable des ventes de SGS au Benelux, durant la visite.