COMMENTAIRE. En se comparant à Alfred Dreyfus qui avait subi un procès inique en 1898 en France, Benyamin Netanyahou se pose en victime et ravive les angoisses. Mais contrairement au célèbre capitaine français, il restera certainement impuni

Que Benyamin Netanyahou, visé par un mandat d’arrêt, taxe la Cour pénale internationale d’«antisémite», on pouvait s’y attendre. Cela fait des années que le premier ministre et une large part de la classe politique israélienne cherchent à annihiler toutes les critiques en prétextant leur dimension anti-juive. Le fait qu’il évoque Alfred Dreyfus est en revanche plus étonnant. Dans un communiqué officiel jeudi soir, Benyamin Netanyahou se disait en effet victime d’une version «moderne» du fameux procès Dreyfus. Il prédisait aussi que la procédure se terminerait «de la même manière»: un accusé innocenté après avoir été calomnié de la pire des manières.

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Mais quel point commun peut-il y avoir entre la puissance du chef d’un gouvernement engagé dans de multiples guerres et la vulnérabilité d’un juif de la fin du XIXe siècle, minoritaire dans une Europe foncièrement antisémite? La comparaison semble faire basculer la rhétorique victimaire du gouvernement israélien dans le grotesque.

L’appel à la figure d’Alfred Dreyfus a pourtant un sens pour le premier ministre. Elle lui permet de dire d’abord que, tout comme le capitaine Dreyfus ne pensait qu’au bien de la France, il ne pense qu’au bien de la civilisation occidentale qu’il défend dans sa guerre à Gaza. De nombreux Israéliens et alliés d’Israël la perçoivent d’ailleurs ainsi.

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En assimilant la France de 1898 au système international de 2024, Netanyahou joue aussi sur la méfiance profonde de ses compatriotes à l’égard d’interventions externes jugées foncièrement antisémites. Si la majorité des Israéliens ne lui font pas confiance, il apparaît aujourd’hui à leurs yeux comme une victime, rôle dans lequel il excelle et qui va lui permettre de doper sa popularité.

Mais le premier ministre n’est pas une victime: il est le responsable politique en exercice d’un Etat soutenu par les Occidentaux. Et en osant pour la première fois lancer un tel mandat d’arrêt, la Cour pénale internationale remet en lumière les crimes commis par Israël à Gaza, mais aussi ses failles. Face aux violations, «l’Etat n’a rien fait. Il a mis sa tête dans le sable», relevait vendredi le colonel Eran Shamir-Borer, ancien directeur de l’unité de droit international de l’armée israélienne.Seize procédures ont été engagées à l’interne en novembre, mais aucune poursuite d’importance n’a été lancée contre des responsables israéliens depuis que le procureur Karim Khan a demandé à la Cour de délivrer les mandats en mai.

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Cette impunité qui marque toute l’histoire du conflit israélo-palestinien profitera certainement au premier ministre israélien. Il n’y a qu’à voir avec quel embarras, voire quel rejet, les Etats européens sans parler des Etats-Unis accueillaient vendredi la perspective de devoir l’arrêter s’il foulait leur sol. Il n’y aura pas d’île du Diable ni quoi que ce soit s’en rapprochant pour Benyamin Netanyahou. Alfred Dreyfus, lui, y avait subi quatre ans d’enfer.