Morgues surchargées, fosses communes, funérailles impossibles… Dans le pays bombardé, la gestion chaotique des morts pèse lourd sur les épaules des vivants. «Libération» révèle des destructions de cimetières par l’armée israélienne dans le sud du pays
«Nous avons dix minutes, après ils nous tireront dessus.» Claquant sa portière de voiture, Mohammad presse le pas dans une ruelle de Khodor, son village dans l’est de la plaine de la Bekaa. Le sexagénaire vient de sortir de l’hôpital, un bandage serré autour du crâne et l’air encore confus. Autour de lui, un relief bosselé où tout a été dévasté. C’est la première fois, en ce début du mois de novembre, qu’il remet les pieds ici depuis la destruction la veille de la maison familiale, située face à son magasin de volailles, lors d’un raid de l’armée israélienne. Un morceau de mur domine l’immense cratère dans lequel s’entremêlent des dizaines d’habits bariolés d’enfants. «Vous voyez des armes ici? s’énerve Mohammad. Il n’y avait rien! On est des civils, nous.» La plus jeune victime, Arij, avait 8 ans. Au total, quatre enfants et deux adultes ont été tués ici, dont Sawsan, la fille de Mohammad, qui était enceinte.
Déjà cinq minutes, le temps file dangereusement. Mohammad se hâte vers un carré de terre fraîchement battue en contrebas. Face aux bouquets d’œillets d’Inde lancés à la va-vite, six parpaings sont dressés froidement. Des stèles de fortune, sans nom ni date. Leur vue arrache un sanglot à Mohammad, qu’il tente de contenir en s’essoufflant. «On nous dit que c’est une guerre juste, pour nous libérer… Ils ont l’air libres ici?» lance le volailler. Lors de l’enterrement deux heures auparavant, aucun imam n’a pu officier. Mohammad n’a pas pu convier ses proches aux obsèques, ni recevoir leurs condoléances. La défense civile libanaise a autorisé un seul membre de la famille à accompagner un ambulancier pour l’inhumation.
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