Respectivement professeur à la HEC Lausanne et à l’Université de Berne, les frères se sont passionnés pour l’économie, après être tombés dedans un peu par hasard. Et avoir fait de la recherche auprès des plus grands économistes américains
Ils sont connus comme les «Benigno Brothers» dans les milieux académiques. Nés à un an d’intervalle dans le nord de l’Italie, Gianluca et Pierpaolo Benigno sont tous deux spécialistes des banques centrales et de la politique monétaire. Les deux jeunes quinquas ont publié des papiers de recherche ensemble et enseignent maintenant en Suisse. Aucune trace pourtant de banquier central dans leur arbre généalogique ou de vocation particulière dans leurs trajectoires parallèles, qui les ont conduits à un doctorat à Berkeley pour le premier et à Princeton pour le second. C’est plutôt la découverte progressive de la matière économique qui les a amenés dans le très compétitif monde de la recherche à un haut niveau international. Via la Réserve fédérale de New York, le FMI, la London School of Economics ou le séminaire de Jackson Hole.
Le début de son intérêt pour l’économie, Pierpaolo le situe vers l’âge de 8 ou 9 ans, lorsqu’un oncle émigré aux Etats-Unis leur rapporte un dollar. «Je suivais la valeur d’un dollar et j’en parlais à l’école élémentaire», se souvient celui qui enseigne maintenant la macroéconomie monétaire à l’Université de Berne.
A la fin des années 1980, l’économie n’était pas enseignée avant l’université en Italie, d’où les Benigno sont originaires, ayant grandi près du lac Majeur. «J’ai choisi Bocconi un peu par hasard, sans savoir clairement ce que je voulais faire, enchaîne Gianluca, professeur d’économie à la HEC Lausanne depuis l’été 2022. Or cette université est connue pour son enseignement de l’économie, et j’ai été fasciné par la possibilité de façonner ce qui se passe dans un pays grâce à des décisions politiques.»
La crise de la lire italienne alimente aussi leur vocation «en 1992», précisent en chœur les deux frères, rencontrés dans le bureau de Gianpaolo. «Nos professeurs à Bocconi en parlaient et écrivaient dans les journaux, ça m’a donné envie de faire pareil», se souvient encore Pierpaolo, qui ignorait alors le long chemin pour y parvenir. Les «fratelli» continuent à étudier, ils ont des facilités pour les mathématiques et les éléments techniques des sciences économiques.
Ils trouvent le temps d’obtenir un diplôme de piano (Pierpaolo admire Maurizio Pollini et Gianluca préfère les concertos que les pianistes), mais ignorent encore totalement que des universités existent aux Etats-Unis. Jusqu’à ce qu’un de leurs enseignants, Fabio Ghironi, actuellement à l’Université de Washington, leur explique qu’ils peuvent traverser l’Atlantique après leur diplôme. Ce sera direction la Californie et l’Université de Berkeley pour Gianluca et le New Jersey et Princeton pour Pierpaolo, soutenus par des bourses obtenues grâce à leur excellence académique.
Ce premier déménagement à l’étranger tourne au choc culturel. La barrière linguistique se révèle dure à surmonter, et un peu particulière. Gianluca travaille en anglais, rédige de la recherche dans cette langue, il maîtrise le vocabulaire technique de la science économique. Mais «tout le reste, la vie quotidienne, était brumeux», se souvient le Lausannois d’adoption, qui reconnaît avoir le même problème aujourd’hui avec le français. Son frère peine à l’époque à saisir les blagues de ses collègues de Princeton. Mais tous deux sont absorbés par les études et passent des heures au téléphone ensemble, y compris pour savoir ce que l’autre avait appris, en ces temps pré-internet.
Leurs sujets de recherche deviennent assez similaires, mais là aussi un peu par hasard. Tous deux finissent par faire leur thèse avec deux professeurs, qui travaillaient eux-mêmes ensemble.
A les écouter se raconter sur le même ton décontracté mais précis, avec leurs voix très similaires, on se dit que les Benigno ne sont pas très portés par le name dropping, qui consiste à glisser des noms connus dans une conversation. Alors on s’en charge pour eux.
Ces deux professeurs qui les ont guidés vers le doctorat s’appelaient Kenneth Rogoff (économiste en chef du Fonds monétaire international de 2001 à 2003, puis professeur à Harvard) et Maurice Obstfeld, qui deviendra conseiller de Barack Obama en 2014 puis directeur des études du FMI en 2015, étant remplacé à sa retraite par Gita Gopinath, une camarade de classe de Pierpaolo.
Outre Rogoff, le comité de thèse de Pierpaolo comprenait Michael Woodford, une référence mondiale pour la théorie monétaire, et Ben Bernanke, futur président de la Fed entre 2006 et 2014, puis Prix Nobel d’économie en 2022. Après son doctorat, Gianluca passe pour sa part par la Banque d’Angleterre, puis la Fed de New York, la London School of Economics, Princeton, le FMI puis à nouveau la Fed de New York, où il dirige la recherche internationale.
Plus récemment, un papier de recherche de Gianluca a été présenté lors du symposium de Jackson Hole, où les membres de la Réserve fédérale se réunissent chaque été pour réfléchir. Ce papier, qui porte sur les enseignements de la poussée inflationniste des années 2020, a été coécrit avec l’économiste islandais Gauti Eggertsson, l’un des chercheurs les plus influents dans le monde sur les questions macroéconomiques.
Le cadet des Benigno ne s’est pas rendu au prestigieux symposium, un seul auteur étant invité par papier, mais cela ne le chiffonne pas plus que ça. «Mon coauteur a apprécié et c’est quelque chose qui a été positif pour notre visibilité», résume Pierpaolo. «Et tu es allé au Forum de Sintra, l’équivalent de Jackson Hole pour la Banque centrale européenne», lui rappelle son grand frère. On ressent la complicité et la compréhension entre les frères, jamais de rivalité.
La prochaine étape pour Gianluca sera la publication de son livre sur la politique monétaire, début 2025. Maintenant qu’il a «approfondi ma connaissance sur le domaine pendant treize-quatorze ans», et que ce livre achève cette partie de sa carrière, l’enseignant à Berne passera à un autre sujet, il ne sait pas encore lequel, peut-être l’inflation, sur laquelle il a récemment travaillé.
Une autre raison de la proximité des deux frères est qu’ils ont toujours travaillé sur des sujets similaires, proches des thèmes d’actualité liés aux banques centrales ou aux politiques monétaires. Au point de créer des confusions, parfois. Invité pour une conférence au Canada, Pierpaolo était un peu suspicieux car le thème ne correspondait pas à ma spécialité. «Puis quelqu’un m’a demandé comment les choses allaient à Londres. C’est là que j’ai compris qu’ils voulaient inviter Gianluca.»
Gianluca Benigno
1970 Naissance.
2000 Doctorat à Berkeley.
2010 et 2014 Naissance de ses filles.
2018 Réserve fédérale de New York.
2022 Professeur à la HEC Lausanne.
Pierpaolo Benigno
1971 Naissance.
2000 Doctorat à Princeton et mariage.
2001, 2003, 2009 Naissance de ses enfants.
2020 Professeur à l’Université de Berne.