La journaliste scientifique du «Temps» Aurélie Coulon a reçu ce vendredi 15 novembre à Berne ce prestigieux prix en compagnie de Rachel Barbara Häubi, ancienne journaliste à Heidi.news. Le long format «Le Groenland, en première ligne d’un monde qui fond», a été récompensé

Rendre compte du réchauffement climatique au plus près. De son impact sur les écosystèmes mais aussi sur les populations qui doivent y faire face. Voilà l’ambition de la série de reportages réalisés au sud du Groenland en été 2023, sous la plume de la journaliste scientifique du Temps Aurélie Coulon et de Rachel Barbara Häubi, ancienne journaliste spécialiste du climat au sein de la rédaction de Heidi.news.

Intitulé «Le Groenland, en première ligne d’un monde qui fond», ce projet composé de sept chapitres alliant textes, photos, vidéos et infographies – et réalisé notamment grâce à l’appui de Kylian Marcos, journaliste nouveaux formats au Temps – a reçu ce vendredi 15 novembre le Prix Multimédia des Académies suisses des sciences. Distribuée pour la première fois, cette distinction récompense une «mise en récit innovante», dans le but de rendre la science accessible au grand public.

Pourquoi le choix du Groenland? «Les enjeux du changement climatique s’y expriment avec une acuité rare», peut-on lire en préambule de cette fascinante immersion, qui couvre des thématiques allant de la glace à l’océan, en passant par les terres rares et l’humain. «Nous souhaitions aborder ces différentes thématiques de la manière la plus complète possible, pas uniquement avec des chiffres et des rapports, souligne Aurélie Coulon. Notre objectif était de rendre vivant le changement climatique, grâce à l’apport de l’image et du son. Entendre un iceberg qui explose, c’est extrêmement impressionnant…»

Rendre accessible une matière très ardue

Pour cette enquête de terrain ayant demandé plus d’une année de préparation, Aurélie Coulon et Rachel Barbara Häubi ont eu l’opportunité de suivre, chacune durant trois semaines, des scientifiques de l’expédition suisse GreenFjord, dont l’objectif est de collecter des données à même de nourrir les modèles climatiques.

«Ce projet de recherche nous a interpellées, car il allie à la fois des chercheurs issus des sciences naturelles et humaines, se rappelle Aurélie Coulon. Le réchauffement climatique est une réalité quotidienne pour les personnes vivant au Groenland, car ce phénomène a un impact sur la dérive des glaces, sur les populations de poissons ainsi que sur le paysage et le développement de la végétation. Cela change, par exemple, les habitudes de pêche. Même si certains habitants sont contents de pouvoir désormais faire pousser des fruits et des légumes dans leur jardin l’été.»

La journaliste scientifique Aurélie Coulon avec l'équipe scientifique
La journaliste scientifique Aurélie Coulon avec l'équipe scientifique

Aux envies initiales de reportages succèdent l’organisation minutieuse et la récolte de fonds. Les deux journalistes ont ainsi bénéficié de plusieurs soutiens financiers, grâce à l’obtention de la bourse Jordi pour le journalisme, d’une bourse de l’Association suisse du journalisme scientifique, ainsi que de l’initiative JournaFonds. Cette enquête au long cours souligne aussi l’importance de pouvoir aller sur le terrain pour rendre compte des enjeux en présence, mais aussi de bénéficier d’une rubrique scientifique au sein d’une rédaction. «La science au cœur du changement climatique est passionnante mais très pointue, relève Aurélie Coulon. Cela a demandé un important travail de compréhension et de vulgarisation, afin de rendre cette matière la plus accessible possible.»

Rencontres imprévues

Sur place, les deux journalistes découvrent des paysages à couper le souffle, des habitants qui leur permettent de tisser des liens avec d’autres locaux et aussi des scientifiques passionnés, beaucoup de scientifiques passionnés. «Derrière chaque arbre et iceberg, il y a un chercheur en cette période de l’année, s’amuse Aurélie Coulon. Il faut dire que le temps sur place est compté et que la quantité de données à collecter est immense. Pour autant, les scientifiques ne sont pas dans une optique de venir, prendre et s’en aller. Ils retournent par la suite dans les villages, afin de rendre compte de leurs recherches à la population.»

© Annina Maier
© Annina Maier

Faute de routes, tous les déplacements se font en bateau. Et les trajets peuvent durer plusieurs heures, voire plusieurs jours, sans qu’on soit toujours certain de ce que l’on trouvera au bout du chemin. Comme lorsque Aurélie Coulon tente d’aller à la rencontre de scientifiques dont la mission consiste à observer la croissance de ligneux dans une petite région autour de Narsarsuaq. «La qualité du réseau laissait à désirer, ce qui a grandement compliqué les communications, et j’ai dû trouver un moyen de me faire débarquer sans savoir si les scientifiques étaient bien présents sur place, relate Aurélie Coulon. Heureusement, le capitaine de la navette a eu la gentillesse d’attendre qu’il y ait bien quelqu’un avant de repartir.»

Et demeure aussi la surprise de certaines rencontres imprévues, comme ce chasseur de Narsaq en train de dépecer trois phoques sur la berge. «La chasse à la baleine et au phoque est encore très pratiquée car il s’agit de la seule source de viande qui n’est pas importée. Mes trois mots échangés avec lui en inuit l’ont convaincu de me tendre un morceau de graisse crue de phoque afin que je le déguste. C’était un moment très marquant.»