ANALYSE L’industrie de l’acier est en crise, comme l’a rappelé l’annonce vendredi de Swiss Steel d’une suppression de 800 postes. Face à la concurrence chinoise, qui frappe de plein fouet l’Allemagne, les Suisses ont toutefois des arguments

Coût de l’énergie et de la main-d’œuvre, franc fort, surcapacité chronique sur le marché, taxes douanières, concurrence subventionnée, incertitudes liées à la décarbonation, demande morose. Tous ces facteurs pèsent lourdement dans les difficultés actuelles de l’industrie suisse de l’acier, et notamment chez Swiss Steel Group, qui a annoncé vendredi supprimer 800 postes de travail, dont 130 sur sol helvétique. Mais il en est un qui pèse plus particulièrement depuis plusieurs mois: la crise industrielle allemande, notamment automobile et dans la construction, les deux principaux débouchés de la multinationale basée à Emmenbrücke, dans le canton de Lucerne.

Si la demande est en berne, le politique ne peut y faire grand-chose, a indiqué Frank Koch, son directeur général, dans un entretien au journal Finanz und Wirtschaft, également vendredi, alors que le débat fait rage sur un éventuel soutien public aux aciéries.

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«L’industrie européenne est paralysée et la production industrielle ne montre aucune amélioration. Cela fait maintenant deux ans que nous utilisons le chômage partiel pour atténuer la baisse de l’emploi. Tout le monde sait que cela ne peut pas être une solution durable», a-t-il souligné. «Actuellement, nous avons une conjoncture faible et des clients qui n’ont pas besoin de notre acier dans la même mesure qu’auparavant. L’aide de l’État peut certes atténuer temporairement le problème, mais pas le résoudre», a-t-il ajouté.

Du politique, Frank Koch dit surtout attendre «de la sécurité». Il n’a pas mentionné une éventuelle diminution des coûts sur le réseau électrique qui pourrait être accordé aux aciéries - une idée débattue à Berne et défendue par la faîtière des machines Swissmem.

Impact des prix de l’électricité

Antonio Beltrame, le propriétaire de Stahl Gerlafingen, l’autre grande aciérie suisse, s’est montré bien plus virulent à l’égard du politique dans la NZZ en octobre: Berne doit absolument réagir pour soutenir l’industrie de l’acier, d’autant plus qu’elle est exemplaire vis-à-vis du climat, selon lui. En Suisse, Stahl Gerlafingen paie 143 euros par mégawattheure contre 88 euros en Italie et à peine 30 en France, soulignait-il. Dans l’industrie énergivore de l’acier ces différences sont essentielles.

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Les difficultés du secteur sont pourtant souvent plus importantes dans les pays voisins. Dans l’industrie en général, l’Allemagne subit de plein fouet la concurrence chinoise tandis que l’industrie suisse se maintient. C’est ce que soutenait en octobre, auprès du Temps, l’actionnaire d’un groupe industriel près de Stuttgart, en grande difficulté, et d’une PME de niche en Valais, qui elle résiste bien. «Les industriels allemands font face à une concurrence chinoise qui d’abord collabore avec eux, puis les copie, s’en sépare et fait la même chose beaucoup moins cher. Le scénario se répète un peu partout.» Et en Suisse? «Des volumes plus faibles - qui n’intéressent donc pas les Chinois - et des marchés spécialisés, avec plus de plus-value, rendent les Suisses plus compétitifs», estimait-il sans préciser combien de temps cette exception pourrait durer.

Des avions aux smartphones

Tout dépendra des secteurs, des spécialités et des clients. Les sous-traitants automobiles, nombreux en Suisse, subissent déjà le ralentissement allemand, notamment les producteurs d’aluminium valaisans. Dans l’acier, les Suisses ne sont pas épargnés par la vaste consolidation qui pointe en Europe. Swiss Steel, qui employait 11 000 personnes en 2021, en recensera moins de 7000 en 2025. Quant à Stahl Gerlafingen, il a annoncé la suppression de 95 postes au printemps 2024 et 120 autres en automne.

Le salut doit venir de ce qui fait la force de la Suisse: les niches et une certaine avance sur les questions climatiques. C’est d’ailleurs ce que visent les principales aciéries suisses.

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Swiss Steel se spécialise sur des aciers destinés à des applications particulières. Dans des trains d’atterrissage d’avion, des roulements à billes de nacelle d’éoliennes, des fraises de dentiste ou dans des fils fins et résistants à la chaleur, utilisés dans des smartphones. Stahl Gerlafingen vend pour sa part des aciers d’armatures, neutres en carbone et largement fabriqués avec des matériaux recyclés, destinés aux constructeurs suisses.

En moyenne européenne, la production d’une tonne d’acier émet 690 kg de CO2, un chiffre que Stahl Gerlafingen a baissé de moitié, à 360 kg, grâce à une utilisation plus intensive d’électricité pour chauffer ses fourneaux. Des rachats de certificats carbone lui permettent de vendre un acier neutre en émissions de CO2. Quant à Swiss Steel, le groupe mise sur «une production d’acier durable dans une économie circulaire, si possible sans impact sur le climat d’ici à 2038», selon son patron. Les niches et le climat, les Suisses doivent s’accrocher à ces deux créneaux.