En première ligne il y a deux ans pour rajouter une “clause de revoyure” à la convention canne en cas de retournement du marché et du prix du sucre, l’industriel ne pensait surement pas que ce sont les planteurs qui allaient demander à l’actionner les premiers. C’est la conséquence inattendue du mouvement initié hier par plusieurs dizaines de planteurs à l’usine de Bois-Rouge en “solidarité ” avec Thierry Henriette.
Le planteur de Bras-Panon, par ailleurs président de la Safer (FDSEA), à l’origine d’un premier blocage dès lundi de la balance de Pente-Sassy pour protester contre la fermeture du laboratoire d’analyse l’après-midi et au-delà sur des richesses faibles enregistrées sur des cannes coupées mécaniquement (notre édition numérique de lundi). Contre une richesse de 14,65 enregistrée pour une canne coupée à la main, il a écopé d’un taux deux fois moindre pour une canne coupée à la machine “sur la même parcelle”.
La question de la réouverture du laboratoire est une revendication partagée par tous les syndicats mais c’est un sujet beaucoup plus vaste qui inquiètent les planteurs. La baisse des tonnages et des richesses, en ce début d’année mais aussi depuis plusieurs années. Un chiffre : si la filière craint de voir la récolte chuter pour la première fois sous le seuil des 1 200 000 tonnes de cannes cette année, elle dépassait la barre des 1,8 million de tonnes il y a encore 7 ans.
Pour certains, la convention canne signée en 2022, malgré les moyens supplémentaires injectés et les avancées obtenues pour améliorer le revenu des planteurs, reste insuffisante pour relancer la filière en l’absence de l’instauration d’un “prix plancher” ou “prix minimum” pour contrer les effets pervers des très basses richesses induites par la coupe mécanique.
"SINON LA FILIERE VA S’EFFONDRER"
“N’attendons pas de faire un million de tonnes dans deux ans pour réagir, depuis 2009 et l’arrivée de la coupeuse péi je dis qu’il faut l’accompagner sur le prix avec un prix plancher, la garantie pour le planteur en début de campagne d’avoir un prix minimum, sans ça la filière va s’effondrer”, exige le président du MPSR, Jean-François Sababady.
Pour le planteur de Saint-André, il y a urgence : “C’est la première fois à Pente-Sassy que 25% des planteurs n’ont pas récupéré leurs badges de livraison, même un planteur qui fait 2 000 tonnes ne s’en occupera pas parce qu’il était redevable l’année dernière et ne profitera plus de la compensation, il devra rembourser 15 000 euros à l’usine. Même ceux qui ont 30, 40 ha arrêtent, ce n’est pas normal”. Un discours partagé par tous les syndicats.
“C’est une nécessité, on ne peut pas travailler à pertes”, commente le président des Jeunes agriculteurs, Guillaume Sellier. Défenseur acharné de l’instauration d’un prix plancher, celui de l’UPNA, Dominique Clain, à « l’espoir que les choses bougent ». Son attente est double : “Faire qu’aucun planteur ne soir redevable à l’usine* et l’instauration d’un prix plancher”, dont il fixe déjà le prix à 35 euros par tonne. Pour obtenir gain de cause les planteurs citent un renfort de poids, le président de la République lui-même qui avait évoqué lors du Salon de l’agriculture l’idée d’instaurer des prix planchers pour augmenter les revenus des agriculteurs.
P.M.
* Les planteurs affichant une richesse moyenne inférieure 9,2 sont « rattrapés » à hauteur de 11,75 à raison d’une seule fois sur la durée de la convention canne, un point que les planteurs veulent également renégocier
Que prévoit la clause de « revoyure » ?
Pour les planteurs, la convention canne serait le cadre idéal pour reprendre des négociations avec l’usinier, en présence de l’Etat, avec l’objectif d’instaurer une sorte de prix garanti minimum pour les planteurs. Reste à savoir si l’Etat acceptera. Dans son préambule, la convention canne 2022-2027 stipule que “le cas échéant, et si les paramètres du marché le justifient, notamment le volume de production, les cours du sucre, du fret, des intrants (…) un avenant à cette convention pourra être signé, garantissant la pérennité de l’activité économique liée à la production de canne à sucre à La Réunion”. Elle ouvre la porte à de possibles “réajustements ” du soutien public pour assurer “l’équilibre” de la filière et maintenir un prix minimum d’achat aux planteurs. Ce que les planteurs traduisent comme une ouverture pour demander la réouverture des discussions, mettant en avant une chute des tonnages et un risque de voir la filière s’effondrer. “Cette clause ne doit pas profiter qu’aux seuls industriels”, lance le président de la CGPER, Jean-Michel Moutama. Mais dans l’optique où le paiement du prix d’achat fixé dans la convention n’est pas menacé à court terme, l’Etat acceptera t-il de remettre tous les acteurs autour de la table ? A suivre.
Un mode de calcul "plus adapté"
Une autre nécessité est mise en avant par certains : revoir la formule de calcul de la richesse. “Elle date de 40 ans et n’est plus adaptée au contexte, à l’époque on cherchait plus le sucre que la fibre qui pénalise le planteur, les usines sont plus performantes et extraient un maximum de sucre, si l’échantillon tombe aussi dans les feuilles c’est normal que le prix chute, il faut tout remettre à plat”, appelle le patron de la CGPER. “Il faut revoir les modalités de paiement et de livraison”, lance de son côté Olivier Fontaine : “On est la seule filière qui achète des machines pour pouvoir livrer mais pas forcément pour gagner de l’argent ! Il faut réfléchir sujet par sujet”. Il vise notamment le taux de richesse qui sert de référence au prix d’achat – 40,07 euros par tonne pour une canne à 13,8 de richesse. “Une formule qui date des années 80 à une époque où la richesse était plus haute, pourquoi ne pas baisser ce taux à 12,8 par exemple”, propose-t-il. Les statistiques lui donnent raison : la richesse décennale moyenne ne cesse de chuter, elle était de 13,54 en 2022.