Plus de 142'000 Gazaouis ont été déplacés en une semaine, selon les Nations unies, depuis que le gouvernement de Benyamin Nétanyahou a rompu le cessez-le-feu le 18 mars. Une responsable de Terre des Hommes revient de Gaza et témoigne.
Les familles de Gaza dédient le peu qui leur reste à la fête de l’Aïd el-Fitr, qui marque la fin du Ramadan en ce dimanche 30 mars. De quoi ont besoin les civils sur place? «De tout!», répond au téléphone Laurence Gaubert, de l’ONG Terre des Hommes, qui rentre de cinq semaines passées dans la bande côtière, basée à Deir el-Balah, où se trouvent les locaux de l’organisation dont le siège est à Lausanne.
Plus aucune aide n’arrive depuis le début du mois et les bombardements israéliens ont repris le 18 mars, poussant à nouveau 150'000 enfants, femmes, civils sur les routes, déjà déplacés jusqu’à dix fois depuis le début de la guerre. La responsable des urgences de Terre des Hommes raconte:
«Les camions humanitaires sont bloqués aux frontières, l’électricité a été coupée, il n’y a plus assez d’eau potable, le gaz se fait rare et cher et les gens ne peuvent plus cuisiner, le nombre de blessés augmente et les médicaments manquent. Tout le monde est épuisé, nos équipes aussi et nous avons dû suspendre une partie de nos activités en raison de l’intensité des bombardements.»
La guerre, qui a repris, pousse à bout la population qui, pour la première fois, jeudi 27 mars, a manifesté contre le Hamas, dont elle semble ne plus vouloir. Ils étaient des centaines de Gazaouis à demander l’arrêt de la guerre et le départ du mouvement islamiste.
En Israël même, le gouvernement Nétanyahou, qui a choisi l’option de la fuite en avant et de la guerre totale, est de plus en plus contesté. Il bénéficie de l’appui de Washington et du silence, pesant, de l’Europe et de la Suisse.
Le Bureau de l’ONU pour les affaires humanitaires, OCHA, parle de «crimes d’atrocité», selon le droit international, pour décrire ce qui se passe à Gaza. La reprise des bombardements israéliens le 18 mars a fait plus de 830 morts en une semaine, dont près de 25% sont des femmes. «Il n’y a plus aucune règle dans cette guerre. Chaque jour, nos collaborateurs sont tués ou blessés», écrit l’ONU. Israël a admis, samedi, avoir tiré sur des ambulances du Croissant rouge palestinien, qui est sans nouvelles de 9 secouristes depuis le 23 mars. L'armée affirme avoir visé des véhicules suspects, tandis que le Hamas dénonce un massacre délibéré. Un bureau du Comité international de la Croix‑Rouge à Rafah a été endommagé, le 24 mars, par un projectile explosif alors qu’il avait été signalé à toutes les parties. Une attaque dénoncée avec force par le CICR.
La reprise des bombardements est une catastrophe pour les civils de Gaza, alors qu’Israël, le Fatah et les pays arabes cherchent à maintenir le Hamas hors de l’équation de l’après-guerre.
Une nouvelle proposition de cessez-le-feu est sur la table, acceptée par le Hamas ce dimanche, alors que le Premier ministre Benyamin Nétanyahou a transmis aux médiateurs une contre-proposition en totale coordination avec les Etats-Unis.
La décision du premier ministre israélien de relancer la guerre n’est pas dénuée de considérations sur son propre avenir politique, alors que monte contre lui la colère de ses compatriotes. Depuis la semaine dernière, des milliers d’Israéliens participent à des manifestations contre la reprise des frappes à Gaza «sans se soucier du sort des otages». Ils lui reprochent également la décision de limoger Ronen Bar, le chef du Shin Bet, l'agence de sécurité intérieure, décision suspendue vendredi par la Cour suprême. Dès lors, le gouvernement a entamé une procédure de révocation de la procureure générale Gali Baharav-Miara, alors que Parlement israélien a donné son feu vert à une loi contestée renforçant l'influence du pouvoir politique sur la nomination des juges en Israël. L’objet avait provoqué en 2023, avant le 7 octobre, l'un des mouvements de contestation populaire les plus importants de l'histoire du pays.
La fuite en avant de Benyamin Nétanyahou, pour sauver son gouvernement et son pouvoir, avec le soutien inconditionnel de l'administration Trump, a atteint le Liban voisin. Des bombardements israéliens ont touché, samedi, la banlieue sud de Beyrouth, après quatre mois de trêve avec le Hezbollah.
Dans cette situation qui semble sans issue, les humanitaires sont seuls au front. «Les équipes sont traumatisées, les enfants sont pris pour cible et subissent des blessures psychologiques qui mettront longtemps à cicatriser», dit encore Laurence Gaubert, qui était à Gaza durant le cessez-le-feu, pour épauler les 19 employés de Terre des Hommes qui travaillent sur une vingtaine de sites:
«Nous prenons en charge des enfants qui ne parlent plus, après avoir vu leurs parents mourir sous leurs yeux. A Gaza, nous avons l’impression de vivre sur une décharge publique, abandonnés de tous. Il faut que cette guerre cesse.»