Sarkis Ohanessian est le comédien genevois qui devait guider le fameux tour de «La colline aux pirates» à Cologny, commune du bout du lac connue pour ses villas hors de prix et ses milliardaires parfois controversés. Il revient sur les raisons qui l'ont amené à accepter ce mandat et ses regrets que la commune ait fait interdire l'animation. Il s'en expliquera davantage lors d'un débat organisé par le FIFDH mercredi 12 mars.

Cela s’appelait «La colline aux pirates» et devait consister, dans le cadre du Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDH), en une visite guidée décalée à Cologny durant une heure, à la découverte des grandes affaires de criminalité économique de notre époque.

Il y a quelques mois, deux journalistes, Antoine Harari et Gabriel Tejedor, m’ont proposé de mener des balades informatives et ludiques sur les hauteurs de la Rade genevoise, refuge apprécié de certains kleptocrates, potentats et autres pirates de la finance. Suite à la sortie du programme sur le site du FIFDH et alors que le canton avait autorisé cette animation, la commune de Cologny, par la voix de son maire, a interdit l’intervention: les journalistes ont fait recours à cette décision qui va être prochainement jugée. En attendant, les visites, ne pouvant être menées, elles ont été remplacées par une table ronde sur la liberté d’expression qui aura lieu mercredi 12 mars à 19h30 à la Maison des Associations à Genève.

Cette annulation a réveillé la presse, a provoqué quelques remous et a donné bien plus d’importance et de visibilité à cette balade relativement anodine… La Tribune de Genève (avec beaucoup de commentaires de lecteurs pour et contre ce projet), Le Courrier, Léman Bleu, les télés SRF et RSI, et hors de nos frontières Le Dauphiné Libéré, France 3 Rhône-Alpes et Le Monde, ont couvert ce qui est devenu une affaire.

Dès le début du projet, j’ai avoué aux deux journalistes que je n’étais pas passionné de politique, que je n’y connaissais pas grand-chose, et que je ne me sentais pas forcément légitime d’effectuer ce qu’ils me proposaient. Ils m’ont dit qu’ils estimaient que j’étais justement un bon vecteur, pour deux raisons: premièrement, ces visites s’adressant à tout un chacun, un œil neutre et peu expert permettait de synthétiser et vulgariser les informations pour mieux s’adresser à un public lambda, et deuxièmement, mon goût de l’improvisation et mon ton décalé apportait une touche divertissante et amusante.

La jalousie a bon dos

J’ai accepté, étant d’un naturel curieux, et j’ai vite pris goût aux informations qu’ils me fournissaient, passionnantes et surprenantes, me mettant sous les yeux des histoires effarantes auxquelles je ne m’étais jamais intéressé. Le travail de «décryptage» du matériel qu’ils m’ont soumis était ardu pour moi, notamment en raison de la complexité des affaires, des montages et des systèmes mis en place par certains milliardaires.

Je n’ai personnellement rien contre les riches, et notre démarche (j’associe à ma vision ces deux journalistes gauchistes et activistes – je rigole, ce sont deux personnes brillantes et passionnées dont j’admire le travail et les connaissances) ne visait pas à mettre tous les habitants de Cologny dans le même panier, loin de là. La visite ciblait un périmètre restreint, mais dans lequel foisonnent de nombreuses histoires peu reluisantes.

Certains ont d’ailleurs affirmé que c’était notre jalousie face à ces milliardaires qui avait motivé notre scandaleuse démarche. Je les rassure: je ne suis pas jaloux… Que ferais-je avec des milliards? A quoi me serviraient-ils? À acheter un hélicoptère pour mes déplacements de Genève à Lausanne? A avoir quatre Lamborghini, deux Maserati, cinq Jaguar et une Dacia?

Je veux bien comprendre qu’on essaie de payer moins d’impôts, histoire de mettre de côté pour nourrir sa famille, payer ses factures, éviter de terminer ses mois dans le rouge, pouvoir offrir des vacances à ses enfants sans être obligé de trimer comme un malade et se priver d’autres plaisirs… Mais quand on possède déjà autant?

De plus je suis sensible, en tant qu’artiste, au fait que les honnêtes milliardaires payant leurs impôts en Suisse contribuent notamment à notre richesse culturelle.

Une hypocrisie connue de tous

Cette visite n’avait pas pour but de «dénoncer». D’une part, parce que les affaires dont nous allions parler sont déjà sorties dans la presse et disponibles sur le net, et d’autre part parce que nous n’allons pas changer le monde. Le but était d’informer et de faire prendre conscience à Monsieur et Madame Tout le monde de cette hypocrisie dans laquelle nous vivons. Certains de ces milliardaires n’hésitent pas à pratiquer la corruption, à ne pas respecter les autres, voire à pratiquer la traite d’êtres humains. La Genève internationale, capitale des droits humains d’un côté, avec l’ONU, le CICR et j’en passe, et d’un autre côté, Genève, refuge de personnages peu scrupuleux. Nous voulions juste faire prendre conscience de cette amusante contradiction.

Ce sont précisément ces contradictions qui m’ont motivé dans ce projet: permettre à d’autres ignares comme moi de découvrir la relative absurdité de ce qui se passe par chez nous, et qui nous dépasse totalement, sans aucune autre prétention. Je remercie d’ailleurs ces deux formidables journalistes de leur confiance et de m’avoir emmené dans ce projet.

Je me réjouis d’ailleurs du débat que cela soulève. J’ai récemment, lors d’une soirée que j’animais, échangé avec des conseillers communaux. Certains comprenaient la décision de la Commune de Cologny et j’ai trouvé notre discussion riche en échanges.

Vivement mercredi 12 mars et cette soirée sur la liberté d’expression, durant laquelle nous présenterons notre démarche et ouvrirons une passionnante discussion sur ce qui peut et ce qui doit être dit.