En quelques années, Laurence Ferrari est passée d’animatrice à l’image lisse et consensuelle, respectant les codes apparents de la neutralité journalistique, à éditorialiste de droite, porte-voix des idées des médias Bolloré. Seule constante: de bout en bout, elle a été une collaboratrice obéissante et même zélée. Notamment quand il s’est agi d’adopter une ligne politique de plus en plus dure.
Invitée mi-septembre 2024 sur le plateau de l’émission TPMP de Cyril Hanouna, sur la chaîne C8 du groupe Bolloré (dont la fréquence n’a pas été renouvelée par l’Arcom, l’autorité de régulation de l’audiovisuel français, et qui a donc cessé d’exister le 28 février 2025), Laurence Ferrari exulte: «Je crois que je n'ai jamais été aussi heureuse professionnellement et aussi libre». La présentatrice se félicite de «dire ce qu’elle pense. Pour une journaliste qui a passé 35 ans à surtout ne pas dire 'Je', arriver à dire: 'Je pense ça', c'est vrai que c'est un pas en avant».
Ses prises d’antenne dans «Punchline», diffusées à la fois sur CNews et Europe 1, ou ses éditos hebdomadaires dans le JD News, dernier-né de la galaxie Bolloré, laissent peu de doute sur son orientation politique, ou celle des médias dont elle épouse la ligne avec zèle et constance. Il y est en permanence question d’immigration, d’islam, d’insécurité.
A cela s’ajoutent récemment le soutien à Donald Trump («il ne représente pas un danger pour les femmes ni pour la démocratie», a-t-elle estimé au lendemain de son élection), des propos sur Jean-Marie Le Pen dont elle loue «la clairvoyance sur les questions d’immigration lorsqu’il dénonçait le risque de submersion de la France», ou encore la défense permanente d’Israël. Le service de presse de Benyamin Nétanyahou l’a bien compris: c’est à Laurence Ferrari que le président israélien a accordé fin octobre 2024 un entretien exclusif. Quelques mois plus tôt, en mai 2024, son mari Renaud Capuçon donnait six concerts dans l’Etat hébreu avec l’Orchestre philharmonique d’Israël, en pleine guerre à Gaza.
Depuis le discours à Munich le 14 février 2025 du vice-président américain J. D. Vance qui a à la fois soutenu l’AfD, le parti d’extrême droite allemand, et accusé les dirigeants européens de «détruire la démocratie», et depuis que le président ukrainien Volodymyr Zelensky s’est fait éconduire de la Maison Blanche le 28 février, les médias du milliardaire Vincent Bolloré ne craignent plus de défendre ouvertement la Russie – et Laurence Ferrari y prend sa part, avec subtilité. «Les bouches s’ouvrent, les masques tombent, comme si la caution du président et du vice-président américains avait levé les inhibitions de l’extrême droite française», écrit Le Monde.
Sur le plateau de «Punchline», elle laisse dire que Jean Monnet, un des pères fondateurs de l’Europe, était «un agent de la CIA», elle accuse Emmanuel Macron de «sonner le tocsin de la guerre» pour simplement faire peur aux Français (sans préciser que c’est la Russie qui a déclenché une guerre sur le continent) et accuse le gouvernement de ne parler que d’ennemis extérieurs, sans voir «ceux de l’intérieur», les islamistes. Le même Emmanuel Macron qui, lors de la conférence de presse de l’Elysée en janvier 2024, s’était permis d’envoyer une pique à Laurence Ferrari pour sa question inhabituellement longue et assertive – mêlant en un seul souffle des thèmes comme la baisse du niveau scolaire, la restauration de l’autorité («La France doit rester la France, bien sûr»), la peur des professeurs («de la violence des élèves, des parents et des terroristes»), ou encore la défense de l’éducation privée.
Laurence Ferrari a-t-elle toujours pensé ainsi? A-t-elle évolué au cours de ces dernières années, a-t-elle senti le vent tourner ou bien ne joue-t-elle qu’un rôle pour satisfaire son patron ultraconservateur, Vincent Bolloré?
Pour comprendre cette mutation, il faut remonter à son départ de TF1 en 2012. C’est dans un contexte particulièrement tendu, en particulier avec la rédaction, que se terminent les quatre années de Laurence Ferrari comme présentatrice du «20 heures». «C’est la fin d’un cycle. J’ai une envie profonde de renouveau», confie-t-elle cette année-là au Parisien, où elle annonce rejoindre la chaîne Direct 8, appartenant au groupe Canal. «Je vais pouvoir exprimer une opinion, alors que le JT impose une neutralité». Ce sont les premiers signes d’un goût pour l’éditorialisation.
Direct 8 a été lancée en 2005 par Vincent Bolloré et l’écrivain et journaliste Philippe Labro, lequel a été en 2009 le témoin de son mariage avec Renaud Capuçon. Mais à l’époque, on est encore loin de la dérive droitière des médias de l’industriel breton. La chaîne, qui diffuse toutes ses émissions en direct (d’où son nom) sur la TNT, se distingue surtout par sa réalisation low cost. Laurence Ferrari devient présentatrice du matinal «Grand 8», dont le concept est repris de l’émission américaine «The View». Elle y commente l’actualité en compagnie d’un panel de personnalités féminines; on y retrouve notamment Roselyne Bachelot, Hapsatou Sy ou Audrey Pulvar. Contactées, ces dernières n’ont pas donné suite à nos demandes d’entretien. A nos confrères de Télérama, Hapsatou Sy, qui mène désormais une carrière d’entrepreneuse, a confié être aujourd’hui «un peu déçue» par Laurence Ferrari: «Je ne la reconnais pas. Elle a été contaminée par le virus CNews. Je préfère garder le souvenir d’une femme qui se positionnait en faveur de l’anti-FN, l’antiracisme, qui n’aurait jamais adhéré à cette ligne éditoriale.»
Une ancienne collègue, qui a travaillé plusieurs années sur des émissions de télévision avec Laurence Ferrari, déplore quant à elle une certaine «absence d’empathie». «Il y a quelque chose de glaçant chez elle. Au moment de la diffusion d’un sujet un peu délicat sur les banlieues, elle nous avait répondu: “je ne risque pas ma carrière pour ça”. Alors qu’autour d’elle, nous étions tous prêts à le faire.»
En visionnant les émissions de ces années, on observe déjà un changement de ton chez Laurence Ferrari par rapport à ses années TF1. Elle peut se montrer à la fois plus légère, sur le registre de la plaisanterie, mais aussi plus ferme. Finie la stature impassible de présentatrice du JT, place à l’univers du talk-show. Laurence Ferrari va d’ailleurs perdre en 2013 sa carte de presse, la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels jugeant que cette émission s’apparente à du divertissement.
Parmi les invités se succèdent Pierre Hermé, Alain Delon ou encore Philippe Labro lui-même. Pour la 100e diffusion, l’émission s’enorgueillit d’un invité «exceptionnel»: son mari Renaud Capuçon, qui jouera un morceau en plateau. Mais si Laurence Ferrari devient plus libre dans sa présentation, elle n’a pas encore droitisé ses positions. Elle fait ainsi preuve d’un certain progressisme, animant par exemple en 2013 une soirée en faveur du Mariage pour tous, organisée par Pierre Bergé (1930-2017), soutien du Parti socialiste et mécène de nombreuses institutions culturelles, proche ami de Renaud Capuçon.
A partir de septembre 2013, on retrouve Laurence Ferrari sur une autre chaîne du groupe Canal: i-Télé. Elle y présente l’émission politique «Tirs croisés», avec Audrey Pulvar et Jean-Claude Dassier, son ancien directeur de l’information de TF1. I-Télé n’est pas encore CNews: elle se veut davantage l’équivalente de CNN que de Fox News. On y croise Léa Salamé, Bruce Toussaint. Pascal Praud, lui, y présente une émission sportive. Mais les choses vont changer avec l’arrivée en mai 2016 à la présidence d’i-Télé de Serge Nedjar, qui est encore aujourd’hui aux commandes de CNews.
L’heure est aux économies: le groupe prévoit 70 suppressions de postes sur les 220 que compte la chaîne. Les journalistes votent à 89,5 % une motion de défiance envers la direction et entrent en grève. Elle durera 31 jours, ce qui en fait la plus longue grève d’un média audiovisuel privé en France.
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