Les deux épisodes précédents de cette enquête de Republik nous ont dit qui était Nzoy, quels étaient ses cauchemars et comment il s’est retrouvé dans la ligne de mire de l’appointé K et de son Glock 19 sur un quai de la gare de Morges. Dans ce 3e épisode, on découvre les événements intervenus durant les jours qui précèdent sa mort ainsi que les quelques minutes qui suivent les coups de feu, durant lesquelles Nzoy a bougé cinq fois sans que les policiers ne lui portent secours.
Evelyn Wilhelm s'est couchée tôt le soir où la police a tiré sur son frère. Elle rêvait de sa mère décédée. Un cauchemar. Sa mère était en train de mourir et criait, criait, criait – jusqu'à ce qu'Evelyn se réveille.
Mais bien sûr, elle ne se doutait de rien. Qui s'attend à ce que son frère se fasse tirer dessus? Aux États-Unis, peut-être, avait toujours pensé Evelyn. Ou en Afrique du Sud.
Mais en Suisse?
Evelyn et Nzoy avaient un frère aîné. Il était né et avait grandi dans l'Afrique du Sud de l'apartheid. Jusqu’au jour où il n'y était plus en sécurité. Sa mère l'a alors emmené chez elle à Zurich.
Nzoy, lui, voulait partir [plus loin], de préférence aux États-Unis. Mais sa sœur a dit à son petit frère: pas question.
Elle a dit à son frère: tu restes en Suisse, il ne peut rien t'arriver ici.
Au printemps 2021, Nzoy a perdu son meilleur ami, qui est décédé après une courte maladie. Cela l'a plongé dans une grave crise. Souvent, il avait peur. Il voyait des choses qui lui faisaient peur.
Le camarade de classe de Seefeld [qui avait détroussé des passants en 1997, Nzoy avait été soupçonné à tort de l’avoir aidé, voir épisode 2]. Ou dix Mercedes noires qui le guettaient.
Dans les bons jours, il remarquait lui-même que la réalité lui échappait. Qu'il n'était pas vraiment suivi. Que cela n'avait aucun sens qu'un copain d'enfance s'en prenne à lui plus de vingt ans plus tard.
Evelyn Wilhelm a aménagé une chambre pour son frère dans son grenier. Il a pris un congé sabbatique, consulté un psychiatre, pris des médicaments. Pendant deux ou trois mois, la situation s'améliora. Mais à un moment donné, la cohabitation est redevenue difficile.
Nzoy allait nager ivre la nuit dans le lac, perdait ses clés, grimpait sur le toit de la maison et n'en descendait plus. Parfois, il dormait avec un couteau sous l'oreiller.
Un jour, il a appelé sa sœur pour lui dire qu'il n'osait pas sortir de chez lui. A cause du garçon de Seefeld.
Evelyn voulait aider, cherchait une solution. Une semaine avant que Nzoy ne se rende à Morges, elle a appelé le psychiatre d'urgence. Nzoy devait être hospitalisé. Mais il ne voulait rien savoir. Il s'est ressaisi et a joué la comédie au psychiatre. Evelyn était furieuse. Elle s’est disputée avec son frère.
C'était la dernière fois qu'ils se sont parlé.
17h59 et 10 secondes.
Le policier se tient juste à côté du tireur, l’appointé K. Lui aussi a maintenant sorti son arme et vise Nzoy, qui est à terre.
Voie 4, voie 4!, dit le policier par radio.
Bien compris.
L’appointé K. rengaine son pistolet et s'approche de Nzoy, blessé. Il regarde brièvement, puis s'éloigne en se tenant la tête. Deux collègues tiennent l'arme en joue. Seule leur collègue de la première patrouille observe la situation sans pistolet à la main.
17h59 et 32 secondes.
Le centre informe les services médicaux d'urgence.
L'homme a toujours le couteau, signale un policier à la centrale. Je répète: l'homme a toujours le couteau. Il est au sol. Conscient.
Il y a encore une menace?
Non, je ne crois pas, répond le policier.
Pour les collègues à Morges, transmet la centrale par radio. Ambulance et SMUR [les services d’urgence] sont en route, on peut avoir quelques infos?
Je n'ai pas plus d'infos, dit le policier.
Il transmet par radio la seule chose qui semble attirer son attention: «Un homme de couleur, il est au sol.»
18 heures et 8 secondes.
Le policier s'approche de Nzoy. Il parle dans la radio. On le voit clairement sur les enregistrements vidéo. Mais dans le dossier, il n'y a aucune trace de cet échange précispar radio. Avec son pied, il tire le bras gauche de Nzoy vers l'avant et lui marche sur la main. Les policiers de la patrouille 696 s'approchent. Ils attachent les bras de Nzoy, immobile, derrière son dos à l'aide de menottes.
Le policier émet un message radio: «L’individu est au sol. Il est menotté. Je répète, il est menotté.»
18h01 et 11 secondes.
Puis les policiers ne font rien. Du moins rien qui semble important. Ils ramassent des objets. Ils enlèvent et remettent des gants. Ils téléphonent. Mais personne ne parle à la victime. Personne ne prend son pouls. Personne ne vérifie s'il y a un moyen de l'aider.
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