Le parti d’extrême droite Alternative für Deutschland vient de réaliser le meilleur score de sa jeune histoire aux élections fédérales allemandes du 23 février 2025, en glanant plus d’un suffrage sur cinq. Plus il se radicalise, plus il prospère. Plus il allège le poids de la culpabilité allemande, quitte à remodeler le passé nazi ou même à récupérer ses pires symboles, plus il rallie. Autopsie d’une mécanique funeste.

D’abord, le contexte. Le 6 novembre 2024, le chancelier Olaf Scholz annonce l’éclatement de sa coalition dite en feu tricolore, qui rassemble les sociaux-démocrates (rouge), les écologistes (vert) et les libéraux (jaune). Les contradictions internes ont eu raison de cette alliance de circonstance et des élections anticipées sont annoncées pour faire émerger une nouvelle majorité – et un nouveau chancelier – à la tête de l’Allemagne.

La nouvelle écrase toutes les autres actualités sur son passage, à commencer par des révélations publiées trois jours plus tôt dans l’édition dominicale de Die Welt: «Le grand-père de la cheffe de l'AfD Alice Weidel a été juge militaire à Varsovie à partir de 1941, pendant la dictature nazie. Des documents attestent de son appartenance au parti national-socialiste en 1932 et à la SS en 1933.»

Alice Weidel, qui copréside l’AfD depuis 2017, n’est pas une nouvelle venue de la scène politique allemande. On savait qu’elle était née dans un milieu bourgeois d’Allemagne de l’Ouest en 1979, dans la région de Gütersloh près de Münster. On savait que ses parents s’y étaient installés avec le grand-père, Hans Weidel, après avoir quitté la Silésie, cette région limitrophe rattachée à la Pologne après la guerre. On sait maintenant ce que le grand-père Weidel y faisait, et comment il a échappé à la dénazification pour s’installer comme avocat à l’ouest et y couler des jours paisibles.

Une question de focale

Alice Weidel n’est bien sûr pas responsable des actes de son grand-père, mais elle l’est de la façon dont elle pense et met en scène son histoire familiale. Or, la coprésidente de l’AfD balaie tout d’un revers de main. Il n’y avait pas de contact dans la famille avec ce grand-père, il est mort quand elle avait 6 ans, circulez rien à voir.

En revanche, comme à son habitude, la politicienne n’hésite pas à minimiser le passé nazi pour mieux évoquer les atrocités commises contre la population allemande après 1945. Elle n’a ainsi aucun problème à relater comment sa propre famille a souffert de la faim jusqu’en 1948 et a subi l’exil forcé. «En Silésie, nous étions des Allemands, dit-elle, et on vient nous reprocher sans cesse notre passé. C’est une charge qui pèse et qui nuit aux Allemands d’aujourd’hui.»

Björn Höcke, leader très radical de l’AfD dans la région orientale de Thuringe où il a remporté à l’automne 2024 l’élection régionale, première victoire d’un parti d’extrême-droite depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le martèle depuis 2017: «Nous, les Allemands, sommes le seul peuple à avoir planté un monument de la honte au cœur de notre capitale (le mémorial de la Shoah à Berlin, ndlr.). Nous avons vraiment besoin d’un changement à 180 degrés de notre politique mémorielle.»

Ce travail de remodelage historique prend parfois un tour poétique, comme avec Alexander Gauland. «Hitler et les nazis n’ont été qu'une petite tache de fiente d’oiseau dans mille ans d'histoire allemande», a déclaré dans un discours de 2018 l’ancien homme fort de l’AfD, qui a accéléré l’ascension d’Alice Weidel et reste à ce jour président d’honneur du parti.

Bascule culturelle en cours

En quelques sorties médiatiques savamment orchestrées, l’AfD a grandement fragilisé le modèle mémoriel allemand. Celui-ci, qu’on pourrait résumer par la devise «Nie wieder», plus jamais ça, repose sur des faits bien établis, qui sont le fruit d’un rigoureux travail d’étude des archives et d’interprétation par les historiens d’après-guerre. L’AfD lui oppose une vérité alternative fondée sur le ressenti et des approximations politiquement motivées.

Un exemple en date de la campagne des législatives anticipées. Dans un échange avec Elon Musk, retransmis en direct sur X, Alice Weidel ose: «La plus grande réussite après cette terrible époque de notre histoire a été de qualifier Adolf Hitler comme de droite et conservateur. Or, il était exactement le contraire. Il n'était pas conservateur. Il n'était pas libéral. C'était un communiste, un socialiste, d’où le nom de son parti.»

Les historiens sont pourtant unanimes à considérer que le mot «socialiste» dans «national-socialiste» n’a jamais reflété aucune réalité politique ou idéologique. Il s’agissait, déjà à l’époque, d’une terminologie trompeuse et populiste destinée à rallier les classes ouvrières.

Clins d’œil aux initiés

Comme il faut aussi satisfaire les franges les plus radicales du parti et les groupuscules néonazis qui gravitent autour, sans tomber sous le coup de la loi, l’AfD adopte des techniques de contournement. Ainsi en est-il du slogan «Alice für Deutschland» (Alice pour l’Allemagne) scandé dans les meetings politiques, qui renvoie au fameux «Alles für Deutschland» des SA. De même lorsque l’estrade des meetings de l’AfD est plantée de huit drapeaux allemands de part et d’autre – une référence discrète au chiffre 8, celui de la lettre H de Hitler.

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